Par Safouène Ghannouchi* On essayera d'identifier les causes de la lenteur que connaît le processus dans la période actuelle en Tunisie. Tout d'abord on dira que les partis politiques n'ont pas réussi à encadrer les citoyens, du moins du 14 janvier 2011 jusqu'aux élections du 23 octobre 2011, sachant que cette mission est primordiale pour tout parti politique. Ceci se manifeste par le taux des électeurs inscrits jusqu'au 2 août 2011 et même du taux relativement faible de la participation au vote. Ceci montre que le gouvernement Essebsi a décidé d'appeler à une assemblée nationale constituante sous la pression d'une minorité ne représentant pas le peuple tunisien au détriment d'une majorité restée silencieuse. Ceci montre aussi la hâte des partis politiques qui étaient derrière la pression d'une minorité populaire. La deuxième raison de la lenteur du processus de la transition est d'avoir associé au sein de la Constituante le côté politique (élections d'un gouvernement) au côté technique (élaboration d'une Constitution). L'élaboration d'une Constitution étant normalement l'objet essentiel pour lequel a été établie une ANC est devenue une mission subsidiaire ou secondaire par rapport à l'enjeu politique qui consiste à gouverner. La troisième raison est le mode de scrutin adopté lors des élections du 23 Octobre qui nous a donné une composition très diversifiée, une sorte de mosaïque à laquelle même les coalitions n'ont pas pu faire face et ceci n'est pas sans conséquences sur la lenteur de prise de décision entre des partis de gauche et d'extrême-droite. La quatrième raison est due à un manque de culture démocratique. En effet, même si on suppose que la première raison n'est pas fiable (adoption d'une ANC) et que la Constitution pourrait être l'œuvre des partis politiques et non élaborée par des spécialistes au-dessus du jeu des partis politiques, on remarque que la majorité des élus ne disposent pas d'une culture minimale leur permettant d'élaborer la Constitution. La cinquième raison est le décret n° 2011-1086 du 3 août 2011 portant convocation des citoyens pour élire les membres de l'Assemblée nationale constituante qui certes a prévu une durée déterminée pour les travaux de la Constituante (une année) mais qui n'a pas prévu une sanction si cette règle n'est pas respectée, ce qui a fait de cette dernière une règle d'ordre moral plutôt qu'une règle juridique, ce qui mène le pays vers une période d'instabilité économique et politique. La sixième raison est d'avoir associé le religieux au politique. En effet, l'Islam, n'est pas perçu seulement comme religion, il constitue un repère de légitimité. L'islamisation de l'Etat mène tout simplement à une dictature religieuse en plaçant une idée, une idéologie au-dessus des institutions et de la Constitution de l'Etat. De ce point de vue, il y aura limitations des droits et libertés des individus, manque de créativité et surtout absence de la notion de citoyenneté. Aujourd'hui, on a l'impression que le processus de l'islamisation de l'Etat est en cours en Tunisie (diffusion des images des gouvernants faisant la prière, augmentation du nombre des lieux de prière dans les établissements publics administratifs, un conseil de la Fatwa dans le premier avant-projet de la Constitution, l'article 148 du projet de la Constitution qui prévoit que l'Islam est la religion de l'Etat...). La septième raison, et qui est la plus importante, est l'absence d'un consensus entre les différents partis politiques dans cette période de transition. Le consensus qui constitue le fondement et la substance même de toute transition démocratique (refus du parti Ennahdha de participer au dialogue national organisé par l'Ugtt, absence d'une feuille de route ou d'un programme pour la transition ...). Ceci s'est traduit par la violence politique qui ne cesse de s'amplifier de jour en jour .En effet, on a vu le 9 avril 2012 des policiers qui agressaient les manifestants mais aussi d'autres personnes qui ne faisaient pas partie de la police et qui les aidaient quand même à agresser ces manifestants. On peut même se poser la question dans ce sens si le monopole de la contrainte armée est toujours détenu par l'Etat. On a vu la violence se propager et augmenter (violence au palaisAbdellia, agression des ligues de la protection à l'encontre des membres de l'Ugtt, l'attaque de l'ambassade américaine, assassinat de Lotfi Naguedh, assassinat de Chokri Belaïd...). Certes, la violence a toujours existé dans toutes les transitions démocratiques même celles qui ont réussi (Afrique du Sud, Espagne...). Mais le problème est qu'en Tunisie, on a l'impression que l'Etat, et notamment le parti au pouvoir, n'essaie pas de faire face à cette violence, il va même jusqu'à inciter à la violence en adoptant une politique d'exclusion. Il nous semble donc nécessaire de se poser la question suivante : dans quelle mesure peut-on légitimer ces raisons par la période exceptionnelle par laquelle passe la Tunisie?