Par Hmida BEN ROMDHANE Bagdad, Basra, Mossul, Balad, Hilla, Samarra, Baqouba, Kout, Tikrit, Baiji, Kirkouk, Tal Afar, Rutba et bien d'autres villes irakiennes ont été secouées ces derniers jours par une série d'explosions sanglantes. Toutes sortes de méthodes violentes ont été utilisées par les terroristes : véhicules piégés, bombes télécommandées placées au bord des routes, attentats-suicide, kidnapping de policiers et de citoyens, etc. On a rarement vu en Irak autant d'attentats meurtriers en si peu de temps. Rien que lundi dernier, des douzaines d'explosions dans diverses villes irakiennes ont fait 183 morts et 284 blessés. Cela rappelle les années terribles qui ont suivi l'invasion de l'Irak et où l'on dénombrait une moyenne de 3.000 morts par mois. Les démons du sectarisme irakien sommeillaient depuis longtemps, quand, soudain, ils furent réveillés par la brutale invasion américaine de l'Irak. Plus de dix ans après la désastreuse décision de George W. Bush, la violence sectaire continue de semer la mort indistinctement parmi les chiites et les sunnites. Si l'on résume l'invasion américaine de l'Irak au printemps 2003, on peut dire sans exagération aucune que les Américains ont fait près de 10.000 kilomètres pour venir en Irak où ils ont détruit, tué, emprisonné, humilié, réveillé des démons endormis, avant de fuir l'enfer qu'ils ont eux-mêmes créé. Les Américains ont fui l'enfer irakien, mais ils y ont laissé des millions d'êtres humains souffrir atrocement. L'être humain peut supporter l'enfer à condition qu'il y ait une lueur d'espoir annonciatrice de la fin de la souffrance. En Irak, aucune lueur d'espoir ne scintille à l'horizon, aucune issue ni solution ne s'offrent aux Irakiens. C'est pour cela que leur souffrance est insupportable. En Irak, les Américains ont commis un mal incommensurable à la fois absurde et terrifiant. Absurde, parce qu'ils ont jeté les Irakiens en enfer sans raison. L'unique explication est que les Américains ont une armée forte qui leur permet de violer impunément les lois internationales et les principes moraux, et les Irakiens ont une armée faible qui n'a pu les défendre contre les Mongols des temps modernes. Mais ce mal incommensurable est aussi terrifiant de par l'indifférence dont font preuve les Américains envers leurs victimes. Ils ont quitté l'Irak sans état d'âme ; ils continuent de vivre normalement comme si de rien n'était, laissant derrière eux des millions d'êtres humains en proie à des souffrances quotidiennes insoutenables. La plupart des commentateurs, dont l'auteur de ces lignes, quand ils parlent de l'Irak, ils se limitent à l'actualité brûlante et aux généralités, sans aller au fond des choses. Or, c'est dans les détails que l'invasion américaine de l'Irak revêt toute son horreur. En fait les portes de l'enfer ont été ouvertes en Irak en hiver de l'année 1991, et plus précisément la nuit du 16 au 17 janvier. C'est cette nuit-là que les Américains ont déclenché leur première guerre contre l'Irak sous le prétexte d'expulser les troupes de Saddam Hussein du Koweït. Ce dernier a commis certes une erreur mortelle, mais les Américains auraient pu l'expulser sans détruire les infrastructures névralgiques et les centres industriels vitaux que les Irakiens ont mis des décennies et des centaines de milliards de dollars pour construire. Mais les Irakiens auraient été très heureux si les Américains avaient détruit, tué, expulsé les soldats de Saddam du Koweït et étaient partis. Ils avaient jugé utile d'imposer des sanctions étouffantes qui frappaient beaucoup plus durement les millions de citoyens que leurs gouvernants. Des sanctions impitoyables qui ont duré 13 ans... La fixation pathologique des Américains sur l'Irak a fait que des millions d'innocents citoyens vivent un calvaire biblique. Ils assistent impuissants depuis l'hiver 1991 jusqu'à ce jour à la lente destruction des secteurs vitaux de l'économie, de l'éducation et de la santé, et à l'agonie de l'unité sociale et l'entente interconfessionnelle qui ont fait la force de l'Irak avant l'arrivée des Mongols des temps modernes à bord de leurs puissants bombardiers. Les enfants irakiens sont les plus grandes victimes de l'acharnement américain contre leur pays. Selon l'Unicef, 5,2% des enfants de moins de 17 ans ont vu la mort d'un parent ou plus pendant ou après la guerre de 2003. Le nombre des orphelins varie selon les estimations de 800.000 à 3,5 millions. Toujours selon l'Unicef, les orphelinats sont «un scandale» et manquent désespérément d'investissements et de lois protégeant l'enfance. Le tiers des 17 millions d'enfants irakiens ne bénéficient d'aucun des droits fondamentaux tels que l'accès à la santé physique et mentale, l'éducation, la protection contre la violence domestique et le traitement des handicaps. Pourtant, ces enfants d'Irak gardent en eux assez d'humanité et de grandeur d'âme qui leur permettent d'exprimer compassion et solidarité avec les victimes des attentats de Boston du 15 avril dernier ! Dans son édition électronique du 17 avril, The Huffington Post a publié deux photos d'enfants irakiens particulièrement touchantes. La première montre deux enfants de douze et dix ans environ, tenant une pancarte dans laquelle on peut lire : We Mourn with Boston (Nos condoléances pour Boston)». Dans la seconde, deux autres enfants de huit et six ans environ, Ridha et Omar, tenant une autre pancarte dans laquelle on peut lire : «Dear Boston, your losses are our losses» (Cher Boston, tes pertes sont les nôtres.)»... Pour un attentat mineur qui a fait deux victimes, quatre enfants irakiens se sont mobilisés pour exprimer leurs condoléances et leur solidarité avec les victimes du marathon bostonien. Pour la destruction de tout un pays et une descente aux enfers qui dure depuis 1991 jusqu'à ce jour, pas un enfant américain à notre connaissance n'a exprimé la moindre compassion vis-à-vis des 17 millions d'enfants irakiens qui n'ont rien vu d'autre dans leur vie que les flots de sang provoqués par l'invasion des forces étrangères et les attentats terroristes. C'est là toute la différence entre l'âme irakienne et l'âme américaine.