Par Saïda MAHERZI Comme tant d'autres, je suis une fidèle lectrice de La Presse pour sa diversité et la qualité de ses rédacteurs, et sa page «Opinions» qui me permettent de m'enorgueillir de notre gotha intellectuel et politique féminin et masculin digne des plus grandes nations. Mais voilà qu'apparaît jeudi 12 mai une dissonance. Un article au titre si incongru, si ahurissant qu'il nous laisse pantois. M. Khaled El Manoubi s'interroge : «Qui savait vraiment la collusion franco-bourguibienne de 1934 ?» Mais évidemment personne puisqu'elle n'a jamais existé. Question d'autant plus tendancieuse qu'elle n'est étayée d'aucun apport historique ni document. Certains se sont exclamés : pourquoi répondre, c'est tellement fantaisiste et farfelu !! Cela ne mérite qu'un éclat de rire !! J'ai choisi de répondre. Car éprise de vérité et indignée par les attaques déshonorantes de son auteur dirigées contre un des plus grands hommes de notre pays envers lequel chacun de nous, quelle que soit son option politique, se doit d'être reconnaissant d'avoir fondé après l'Indépendance en osmose avec une équipe d'éminents patriotes la Tunisie moderne. Ce pays dont la renommée a dépassé les frontières et dont le nom est à jamais lié à Bourguiba. Il est attristant de constater de la part de quelques citoyens cette hargne, ce désir de ternir l'image du Président. Ailleurs, les peuples et gouvernants des nations les plus illustres, arborent fièrement le portrait de leurs héros en dépit des divergences. La Turquie en est l'un des plus éminents exemples. Journaliste, responsable d'émissions politico-sociales de langue arabe à la RTT, passionnée de l'Histoire de ma patrie, j'ai eu le privilège d'interviewer la majorité des acteurs et actrices témoins de la Tunisie combattante des périodes pré et post- indépendance. Pages héroïques et émouvantes recueillies avec déférence de hauts responsables, de rescapés des prisons de l'exil, des maquisards, héros de djebels, d'avocats relatant les derniers instants de nos martyrs tombés au champ d'honneur aux cris de Tunisie et Bourguiba. De même aussi, la confession de repentants soudoyés pour assassiner le Président. Et qui à l'ultime seconde ont refusé de l'exécuter. A cette évocation, quelle épouvantable rétrospective...si...le doigt avait appuyé sur la gâchette, si le crime odieux avait eu lieu...la Tunisie, tombée dans l'escarcelle de la pieuvre nasserienne qui n'avait cessé de la poursuivre de son désir d'hégémonie à coups d'attentats et de campagnes de dénigrement, n'aurait jamais été ce qu'elle est devenue. Son sort n'aurait pas été meilleur que la malheureuse Palestine dont le destin a été scellé le 6 juin 1967 pour des décennies. «Bourguiba l'homme lige du colonialisme», osez-vous dire. C'est donc par amitié que lui-même et ses compagnons ont été invités par le Résident général Peyrouton à goûter au paradis de Borj-Le-Bœuf de 1934 à 1936. C'est également par solidarité qu'il a bénéficié, à l'aube du 10 avril 1938, des délices d'une geole de un mètre carré à La Kasbah suivie de Fort Saint Nicolas, Fort Monluc et Fort Vancia. Mais auparavant, le Colonel Guérin du Cayla lui avait voué un si bon sentiment qu'il s'était efforcé d'obtenir sa tête. Si cette sentence n'a pas eu lieu, le miracle en revient à la Déclaration de guerre de 1939. Le regretté Nasser Makhlouf, auteur de la rencontre de Bourguiba et du Consul Doolittle, a confié à notre micro tous les détails de cette entrevue faisant part des efforts du Consul US pour protéger le Président de la vindicte du Maréchal Juin. Hôte de la Tunisie indépendante, et sur invitation personnelle du Chef de l'Etat, le haut diplomate Doolittle avait confirmé ces faits. Khlifa Haouas, homme de cœur et de courage, a relaté dans notre studio toutes les dangereuses péripéties de la fuite de Bourguiba pour la Libye. La France amie «n'aurait-elle pas dû choisir un itinéraire moins mouvementé ?» Et c'est dans le cadre de ces liens resserrés avec Bourguiba que le Résidant général de Hautecloque l'assigna en janvier 1952 à l'île de La Galite avec peut-être le secret espoir que l'horrible solitude, les intempéries et le froid mettraient un terme à cette vie si précieuse. Mais là où vous dites enfin une vérité c'est que les présidents Mendès-France et Edgar Faure ontax bien choisi comme seul interlocuteur l'homme qui était resté debout contre vents et marées en faisant appel à ses capacités politiques et juridiques dans la rédaction du protocole de l'indépendance. D'autant plus, qu'en préalable à la signature de la Convention, Bourguiba avait lancé un appel aux résistants les enjoignant de déposer les armes. Ce qui fut fait aussitôt en dépit des aléas possibles de cette injonction. Car c'était lui qui, de son exil au Caire, avait chargé Allala Laouiti d'organiser la lutte armée en créant dans chaque région des groupes de combattants «les Onze Noirs» avec pour mission de récolter les armes oubliées par les armées alliées et de se préparer pour le jour J. Ce sont ces «milices noires» décrites par Madame Annie Rey-Goldzeiger et que vous comparez avec malveillance à la «Main Rouge», insulte suprême envers nos valeureux résistants. Quant à Monsieur Raouf Hamza, une animosité personnelle semble l'animer envers le Président qu'il évoque en termes peu respectueux et peu protocolaires à l'égard d'un chef d'Etat allant jusqu'à déflorer l'Histoire. Dans un article paru le 11 octobre 2011, dans ce journal, j'avais rendu hommage au très regretté Bahi Ladgham, évoquant la tenue d'un séminaire sur la bataille de Bizerte qui avait eu lieu les 10 et 11 mai 1996 à Tunis. Sous l'impulsion et l'égide de l'Institut supérieur d'histoire du mouvement national et du Centre Arpège de l'Université de Reims sous le titre «Relations tuniso-françaises de 1945 à 1962». Dans un cours magistral, si El Bahi devait réfuter en tant qu'ancien secrétaire d'Etat à la Présidence et à la Défense nationale et preuve à l'appui les allégations avançant que la guerre de Bizerte avait été une erreur. Dans ce même colloque, si El Bahi avait accusé de délit de calomnie l'historien Raouf Hamza qui avait osé déclarer que le Président avait interdit à nos frères Algériens de disposer de leurs armes sur notre territoire lors de la lutte pour l'indépendance de leur pays. L'ex-secrétaire d'Etat devait mettre en exergue l'indéfectible solidarité de Bourguiba envers le peuple frère aux risques et périls de notre jeune Etat encore fragile. Dont le drame du 8 février 1958 n'avait été qu'une des conséquences de ce soutien inconditionnel à l'Algérie. Depuis la nuit des temps, tous ceux qui se sont attelés à défigurer les événements par jalousie, incompétence ou racisme sont sujets aujourd'hui à l'opprobre général. Dépoussiérée, l'Histoire brandit le flambeau de la vérité en complémentarité avec les journalistes fidèles aux valeurs de leur profession. Bourguiba ne peut se défendre mais la voix des innombrables témoins et partisans est d'autant plus puissante que des associations et des partis portant son nom ne cessent d'éclore proclamant non seulement la refloraison de l'âme bourguibienne mais en assurant également sa pérennité dans l'Histoire.