Par Abdelhamid GMATI Tout est bon pour détourner l'attention de l'opinion publique des vrais problèmes du pays, atteindre les objectifs annoncés et contrôler les rouages de l'Etat. La députée d'El Massar à l'ANC, Selma Mabrouk, accuse, dans une note publiée sur sa page Facebook, les élus du parti islamiste Ennahdha de ne pas tenir leurs engagements et de chercher à «retarder le processus en s'ingéniant à trouver chaque jour un nouveau stratagème». Elle parle, bien sûr, des textes de la future Constitution et de ceux concernant l'Isie, la justice, la liberté de presse...Sur le terrain, des faits, somme toute, de moindre importance, voire anodins, ont retenu l'attention générale durant les dix derniers jours. Le premier concerne la jeune Amina, du groupe Femen, présente le 19 mai dernier à Kairouan pour protester contre le congrès interdit du mouvement jihadiste Ansar Echaria. Elle ne fit que taguer le mur extérieur d'un cimetière. Cela lui valut une arrestation sous l'accusation de profanation de cimetière et possession d'arme blanche. Au procès, ces accusations fallacieuses (un aérosol d'autodéfense n'est pas une arme blanche et elle n'a même pas pénétré dans le cimetière) lui valurent la relaxation mais aussi une amende de 300 dinars. Un juge d'instruction ordonna son maintien en détention pour de nouvelles accusations, à savoir association de malfaiteurs (laquelle ?) et atteinte aux bonnes mœurs, pour avoir publié sa photo, buste nu, sur sa page Facebook. Ce réseau social est considéré comme privé et ne concerne que ceux qui veulent y accéder. Elle risque la prison à son procès du 5 juin. Le geste de cette jeune fille de 18 ans, qui ne pourra pas passer son Bac, a été monté en épingle et on lui a donné délibérément une ampleur démesurée. Idem pour la courte exhibition de 3 membres européennes du groupe Femen, venues soutenir la jeune Tunisienne. Dans les deux cas, des groupes de salafistes étaient sur place, mobilisés pour prendre à partie les fautives et invoquer Dieu (Allahou Akbar) à toutes occasions. Comme si la religion était en cause. C'est d'ailleurs là l'un des chevaux de bataille des islamistes : s'identifier à la religion, jouer sur les sentiments conservateurs et religieux de la population tunisienne, pour dénoncer la modernité, la créativité, le progrès et traiter tous ceux qui s'opposent à eux de mécréants. En ce sens, la méthode utilisée par les Femen pour défendre les droits des femmes et les libertés est parfois contre-productive. Montrer ses seins nus, sur la place publique, choque nombre de citoyens, même dans les pays européens. Certes, en Tunisie, on s'est habitué aux mini-jupes, aux décolletés, aux bikinis et même aux bustes féminins dénudés sur les plages, mais on est encore loin d'accepter la nudité, même partielle, des femmes et même des hommes. Ces deux épisodes sont exploités par les islamistes qui passent pour les protecteurs des bonnes mœurs, des traditions et de la religion. Ils ont déjà joué sur ce chapitre à plusieurs occasions souvent provoquées par eux-mêmes. Rappelons-nous le film Persépolis sur Nessma TV, le film Ni Dieu ni maître de Nadia Fani, l'exposition de peinture à Dar El Abdellia, la photo du couple sur un journal, le baiser innocent de deux adolescents, et d'autres. Le tout au nom de la morale et des bonnes mœurs. Des actions de tartuffes. «Cachez ce sein que je ne saurais voir». Leur principale préoccupation semble être la femme et son corps. Et ils obtiennent des résultats. Ils n'y a qu'à voir le nombre de nikabs et de hijabs qui prolifèrent et qui font que les femmes ressemblent plutôt à des chauves-souris. De même pour les hommes, barbus et habillés à l'afghane. Ce qui inquiète aussi c'est aussi ce qui se passe au niveau de la justice où le système des «deux poids deux mesures» semble de mise. Ainsi incrimine-t-on une jeune fille ayant tagué le mur extérieur tombant en ruine d'un cimetière mais on laisse courir tous ceux qui ont incendié et détruit des mausolées, des tombes et certaines mosquées. On agresse verbalement et physiquement les artistes, les journalistes, les intellectuels, les opposants, on commet des meurtres, impunément. Le dernier jugement des 20 salafistes impliqués dans les graves incidents de l'attaque contre l'ambassade américaine, condamnés à 2 ans de prison avec sursis, a choqué plus d'un. Même l'ambassade américaine s'en est émue dans un communiqué : «Le verdict ne correspond pas de manière appropriée à l'ampleur et à la gravité des dégâts ainsi qu'à la violence qui ont eu lieu le 14 septembre 2012». Plusieurs voix se sont élevées, dont celle du ministère des Affaires religieuses ( ???), pour dénoncer «l'ingérence américaine». Heureusement, le ministre de la Justice a rectifié, estimant que le communiqué américain n'exprimait qu'un avis. Le problème est qu'on ne sanctionne pas la faute commise, mais plutôt les idées et ceux qui les véhiculent. En fin de compte, ceux qui résistent à l'islamisation et à la wahhabisation sont persécutés.