Le ministre des Affaires sociales a affirmé qu'une réserve importante de phosphate brut est en train d'être stockée à Gabès en une première action de prévention ; la pérennisation de l'activité de la CPG et du bassin minier étant la priorité du gouvernement Le lourd héritage de la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG) l'a contrainte à vivre dans une atmosphère de tensions qui persistent, en attendant d'engager un débat sociétal auquel tous les acteurs appellent en ces derniers temps de crise. L'urgence de l'intervention implique un rééchelonnement des priorités afin de pérenniser cette entreprise qui a son poids dans l'économie nationale. Il est temps d'un débat sociétal sur cette affaire... La réalité et les défis de la CPG, cette importante entreprise nationale, sont au cœur d'un séminaire d'études lancé hier, pour se poursuivre aujourd'hui à Tunis, par le «Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux» (Ftdes). A l'ouverture de ce séminaire, le président du Ftdes, Abdeljelil Bédoui, qui avait traité longuement de la crise de 2008 du bassin minier de Gafsa, a affirmé l'existence d'une atmosphère de tensions entre ladite entreprise et son environnement. Il avait écrit en 2008 : «Les mesures annoncées le 16 juillet 2008, à l'occasion de la tenue à Tunis (Palais de Carthage) d'une session extraordinaire du conseil régional du gouvernement de Gafsa, interviennent plus de six mois après le déclenchement, le 6 janvier 2008, d'un mouvement ininterrompu de contestation populaire pacifique contre le chômage, la hausse des prix et la précarité des conditions de vie et environ un mois et demi après la vague d'arrestations et d'emprisonnements des principaux militants de ce mouvement. Ces faits qui renvoient à des questions de gouvernance indiquent, manifestement, une absence d'anticipation des événements par les autorités locales, régionales et nationales qui semblent avoir été surprises par ces derniers, une hésitation quant à la méthode qu'il convient d'employer pour faire face à ces événements et une démarche bureaucratique et centralisée concernant le traitement du dossier et l'annonce des mesures». Depuis, rien n'a été fait pour arrêter l'hémorragie économique de cette entité qui est arrivée, désormais, à une étape critique de sa vie mettant en péril sa pérennité... L'analyse de Bédoui, celle d'hier, nous a renvoyé sur les mêmes problèmes qu'il a évoqués il y a cinq ans de cela. Un seul élément a été ajouté dans son analyse c'est celui de l'instrumentalisation politique de cette compagnie par l'ancien régime, ce qui a empiré ses relations avec son environnement et a rendu la situation économique, sociale et environnementale insupportable. D'après lui, un dialogue sociétal impliquant tous les acteurs est nécessaire pour définir les axes d'intervention et les actions prioritaires à entreprendre dans l'urgence face à cette crise. Transport sécurisé Pour sa part, le ministre des Affaires sociales, Khalil Zaouia, a indiqué que la CPG a repris son activité à hauteur de 80% et que la sécurisation du transport du phosphate est bien assurée. De même, il a indiqué que le transport du phosphate est actuellement sécurisé. «Nous sommes en train de transporter de grandes quantités de phosphate brut à Gabès pour avoir un stock en guise de réserve. On a un problème au niveau du dispatching des nouveaux recrutements, alors que la moyenne salariale dans cette compagnie reste très élevée. Elle est de l'ordre de 27 mille dinars par an contre 12.000 dinars pour la moyenne nationale. Pour le gouvernement, l'essentiel est de préserver la pérennité de cette entité qui est un élément important de développement de toute la région du bassin minier mais aussi à l'échelle nationale vu son incidence sur l'activité du groupement chimique et des autres entités d'exploitation du phosphate à Gafsa, Gabès et à Sfax. Les négociations sont difficiles avec les partenaires impliqués dans cette problématique», a enchaîné le ministre. Concernant les conventions communes déjà établies, Zaouia a affirmé qu'elles sont en cours de réalisation, alors que celle relative à la préservation de l'environnement et au développement durable entrera en application dans un avenir proche. «Le gouvernement vise l'instauration des pratiques de la bonne gouvernance loin des pratiques anciennes. Il nous faut une certaine conscience qu'on doit négocier tout en travaillant», a-t-il ajouté. Il a, d'autre part, évoqué plusieurs problèmes de mauvaise gouvernance au sein de la CPG, notamment au niveau du recrutement et du transport. D'après lui, le Maroc a une activité quatre fois plus élevé que Gafsa et pourtant il fait travailler moins d'employés qu'en Tunisie. Côté transport, il a indiqué que le coût du transport du phosphate par voie ferroviaire revient à 9 dinars pour tonne, alors qu'il est de l'ordre de 24 dinars par camion. Des solutions envisageables et une vision participative s'impose Alors que le directeur de projets régionaux de la Fondation Friedrich Ebert, Emil Lieser, a souligné l'importance du processus d'instauration des principes d'équité et de paix sociales dans de telles situations, le représentant de l'Union générale des travailleurs tunisiens (Ugtt), Mustapha Ben Ahmed, a, quant à lui, insisté sur le volet développement régional. Relatant la surexploitation des budgets et des produits de cette compagnie nationale, Ben Ahmed a indiqué que la CPG est devenue une surcharge pour l'Etat, à l'instar des autres pôles industriels et chimiques (groupements chimiques de Gabes et de Sfax). «Il faut revoir le fonctionnement de ces pôles avec une vision participative d'accompagnement pour assurer le sauvetage de la CPG. Autrement, la chute de ce pôle aurait des conséquences catastrophiques sur l'économie nationale et dans ce sens on ne peut pas prendre en otage les citoyens de la région dans une situation sensible et critique que celle-là. Il existe un sentiment de désespoir de la part des habitants de toute la région par rapport au système dans sa globalité. Il faudra prouver les bonnes intentions des deux parties qui gouvernent avec notamment des mesures d'ordre social, alors que les habitants de la région ne s'attendent, après la révolution, qu'à trouver un emploi décent», a souligné Mustapha Ben Ahmed. Abdeljelil Bédoui est revenu longuement, pour sa part, sur le lourd héritage en matière de mauvaise gouvernance de la CPG avec notamment les problèmes liés à la sous-traitance, les recrutements, les charges sociales, la vétusté du matériel d'extraction face à une demande internationale en perpétuelle augmentation, etc. «80% des ventes sont destinées au marché local, ce qui implique que la hausse des prix de vente ne touche les entrées de la CPG que dans les 20% destinées à l'étranger. Ce sont les sociétés chimiques qui en bénéficient. Cependant, l'activité de lavage du phosphate nécessite une grande exploitation des ressouces en eau de la région, à raison de 18 millions de mètres cubes par an. De même, les eaux usées dans les différentes étapes d'exploitation ont affecté l'état des oueds dans la région et ainsi la qualité des sols qui est devenue inexploitable pour l'agriculture», a expliqué Bédoui. Selon lui, on devra arrêter le travail des centres de lavage de Métloui, 1 et 3, et de transporter le phosphate à Gabès où il devra être traité. Autrement, Bédoui a insisté sur l'importance de l'installation d'une centrale de dessalement des eaux. L'expérience de la CPG relative à la réhabilitation de 6.000 hectares de terres agricoles, et qui a été arrêtée comme expérience, a été évoquée en tant que solution pour revaloriser les terres dans toute la région. Une expérience qui aurait des effets positifs sur d'autres activités comme l'élevage et le bétail. La revalorisation des capacités touristiques a été, aussi, proposée comme une autre solution pour booster le développement dans cette région qui regorge de monuments historiques et de sites archéologiques. Par ailleurs, le débat continue aujourd'hui avec une présentation des résultats des négociations sociales au bassin minier ainsi qu'une analyse du syndicat des cheminots des volets sectoriel et social de la crise de phosphate. Le séminaire est un prélude d'une action de la société civile qui s'intéresse de plus en plus aux questions vitales à l'économie tunisienne. Espérons que ça restera loin des tiraillements politiques...