Etre jeune et vouloir commencer sa vie professionnelle en montant son propre projet, ce n'est pas évident dans nos murs. Après y avoir cru et eu beaucoup de promesses, les jeunes éleveurs d'escargots ne voient pas le bout du tunnel et plusieurs ont fini par jeter l'éponge. Le président de la mutuelle des héliciculteurs tire la sonnette d'alarme pour sauver une activité économique prometteuse mais négligée et compromise. Héliciculteurs en faillite. Procès en cours : BTS contre jeunes éleveurs non solvables, les crédits variant entre 50 mille et 100 mille dinars. Marché de production d'escargots d'élevage destinés à l'alimentation et à l'exportation (gastronomie de luxe) en berne. Voilà où en est une des activités économiques nouvelles parmi les plus lucratives et les plus faciles à réaliser, après un peu plus de deux ans de révolution. Certains éleveurs, en majorité jeunes et diplômés du supérieur, ont jeté l'éponge, d'autres continuent malgré tout à se battre parce qu'ils n'ont pas d'autres choix. Ils ne veulent pas croire en la fatalité de l'échec même après avoir perdu des récoltes entières (200 tonnes en 2012) à cause de l'absence de circuit d'écoulement local et l'effritement de leur crédibilité auprès des clients étrangers pour non-respect des engagements, conséquent aux dernières grèves des services de douane qui ont entraîné le pourrissement de la marchandise stockée au port. Car les opportunités sont bien réelles. Activité rentable, peu exigeante avec perspectives d'exportation Lancée en 2003 par un jeune promoteur de Jendouba, l'activité d'élevage d'escargots s'est révélée juteuse et porteuse de grands espoirs. L'exportation du mollusque vers les marchés européens surtout est prometteuse. De jeunes diplômés du supérieur comme Hichem Turki, ingénieur agronome, se sont lancés (en 2009) dans l'aventure avec le soutien des structures de tutelle et leur appui en termes de formation technique (APIA, AVFA). Les promesses sont alléchantes, les clients importateurs préfèrent l'escargot d'élevage à celui de ramassage qui se vend tout aussi bien mais à moindre prix. «On y a vraiment cru, c'est une activité nouvelle en Tunisie peu exigeante, pas besoin de grandes superficies, et très rentable pour le pays», affirme le jeune promoteur désabusé mais qui croit toujours à l'utilité de cette activité. Preuves à l'appui : l'étude réalisée en 2005 par l'Apia. «Une superficie de 5000 m2 peut produire 15 à 20 tonnes d'escargots et générer un bénéfice de 40 mille dinars sur la base d'un prix de vente au kilo fixé à 6 dinars (marge bénéficiaire au kilo, 2 dinars au moins)», explique Hichem Turki. A l'exportation, les prévisions tablent sur une recette en devises de l'ordre de 60 MD. Mais cela relève du rêve. «Pour le moment ce n'est pas possible car le secteur n'est toujours pas organisé, il n'y a pas encore de cahier des charges ni de programme de traçabilité ni de financements, ce sont les règles de base de l'exportation», explique encore le jeune éleveur. A l'échelle nationale, c'est également l'impasse : «Le produit n'est pas valorisé, les quelques hôteliers et exportateurs, qui s'y intéressent, se contentent de l'escargot de ramassage (non élevé) même s'il est de moindre qualité car il est moins cher». Trop d'obstacles Les obstacles ont pris de l'ampleur après la révolution. Pour y faire face, la société mutuelle des héliciculteurs est créée en 2011 sous la supervision de l'Apia, pour trouver plus facilement des débouchés. En vain. L'activité est carrément sapée, les jeunes éleveurs endettés auprès de leur banque (BTS) et un bon nombre cèdent au désespoir. Aujourd'hui, sur les 32 premiers adhérents de la mutuelle, il n'en reste plus que quatre. La mutuelle compte aujourd'hui une dizaine d'adhérents, mais pour combien de temps ? Hichem Turki, président du conseil d'administration de la mutuelle, et ses confrères éleveurs, tous diplômés du supérieur, tirent aujourd'hui la sonnette d'alarme pour sauver les projets d'élevage existants et tenter de trouver de nouveaux horizons pour les jeunes promoteurs dans le domaine de la transformation agroalimentaire du mollusque. «C'est un produit très demandé à l'étranger surtout en France et en Italie. Nous avons le savoir-faire technique et la motivation pour développer ce créneau mais nous n'avons pas les financements nécessaires». Transformation agroalimentaire : pas de financements L'idée de la transformation agroalimentaire du mollusque en plats et en produits de conserves est venue aux jeunes éleveurs de l'important espace publicitaire réservé à cette activité sur le web et de la suggestion d'un expert de la FAO, invité par l'Apia en 2012, pour évaluer l'expérience des jeunes éleveurs et les aider à trouver des solutions pour sortir de l'impasse. «Dans son rapport, l'expert a mentionné la maîtrise à 90% de la technique par les jeunes promoteurs tunisiens et indiqué que la solution en Tunisie se trouve dans la transformation agroalimentaire du produit d'élevage plus facile à l'exportation du fait que la date de péremption va jusqu'à 2 ans», indique le jeune ingénieur. C'est dans la transformation que Hichem et ses confrères voudraient s'engager mais trop d'obstacles s'y opposent. Le produit n'est pas valorisé à l'échelle nationale, pas de cahier des charges, ni de programme de traçabilité ni de réseau d'écoulement. A l'exportation, des lacunes procédurales bloquent la concrétisation des contacts et des commandes potentielles. Les jeunes membres de la mutuelle ne désespèrent pas pour autant. L'Apia, qui les soutient, les fait participer gratuitement à toutes les foires nationales et les a même aidés à participer à un salon à Paris en avril dernier. Les jeunes éleveurs tunisiens ne sont pas partis les mains vides et sont revenus avec encore plus d'ambition et de volonté de réussir. «Nous avons présenté et exposé "Ksour", notre propre marque d'escargots de transformation, des recettes concoctées par des chefs tunisiens renommés ; l'action a été initiée par une société de communication française», affirme Hichem qui a représenté les membres de la mutuelle au sein de la délégation tunisienne qui participé au salon. «Ksour» a été qualifié «produit pertinent» et des importateurs français et italiens ont manifesté leur intérêt pour la commande de ce produit. «Des clients japonais se sont également manifestés, mais en l'absence de cahier des charges et de programme de traçabilité, aucune chance de négocier avec eux», ajoute-t-il. A ce stade du blocage, les jeunes éleveurs n'attendent plus que des financements, «environ 100 mille dinars, pour louer un local, lancer la production de la marque tunisienne déposée à l'Innorpi et honorer les premières commandes encore en instance». Pour cela, ils ont récemment fait appel au ministre de l'Agriculture. Leur requête: une réunion avec le ministre, M. Mohamed Ben Salem, pour mettre sur la table les enjeux de ce secteur économique et social, sauver la saison 2013, et trouver un fonds pour démarrer la production. Et faire rentrer des devises dans les caisses de l'Etat. Cela semble plutôt urgent.