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«Le mouvement des révolutions arabes n'est pas fini»
Rencontre avec : Gilles Kepel
Publié dans La Presse de Tunisie le 17 - 06 - 2013

Fort de ses quarante ans d'étude sur le monde arabe, Gilles Kepel, cet orientaliste moderne, comme il aime à se définir, se trouve parmi nous en Tunisie pour la promotion de son livre Passion arabe. Un récit de voyage doublé d'un journal intime, fruit de deux ans de pérégrinations, d'observations, d'enquêtes et d'interviews dans les pays dits du «Printemps arabe ». Il s'en est allé saisir de près une perception intimiste, « le ressenti » de ces événements qui ont changé la configuration politico-sociale de cette partie du monde.
Le politologue français a fait sa thèse, voilà trente-cinq ans, sur les mouvements islamistes égyptiens. Don prémonitoire ou pertinence intellectuelle, il se trouve que « ceux dont je traduisais les tracts, se trouvent actuellement au pouvoir ». Il est aujourd'hui l'un des spécialistes les mieux placés pour, belle ou curieuse entreprise, expliquer le monde arabe, également, aux Arabes.
Seulement voilà, ceux qui espéraient l'oracle sont déçus de ses nombreuses rencontres avec le public tunisien, et à la question récurrente : que va-t-il se passer ?» Kepel répond invariablement : « Je n'en sais trop rien ». Parce que, entre autres, comme il le montre dans cet entretien, l'histoire n'est pas encore terminée.
Le titre du livre, Passion arabe, interpelle. C'est votre passion à vous, que vous cultivez à l'égard du monde arabe, ou bien ce sont les Arabes qui vivent leurs révolutions passionnément ?
Si ce n'était que ma passion, ça n'aurait pas valu la peine d'en faire un livre. Evidemment, cela fait quarante ans que je vis dans ce monde. On ne peut pas le faire sans un peu de passion. Le monde arabe est un monde où je compte beaucoup d'amis, et un certain nombre d'ennemis, aussi. En français, le mot passion a une certaine diversité polysémique, on a du mal à trouver une traduction arabe qui la rende. La passion dans l'enthousiasme, mais dans la souffrance également. La passion du Christ ; celle qu'on appelle en arabe oriental, «alamou el massih». Parmi les traductions que nous avons trouvées «chaghafon arabi», mais ce n'est pas complet. Dans toutes les révolutions, il y a de la passion. La révolution française était un moment de passion.
J'ai essayé, à travers ces deux ans de voyages intenses dans la région, de m'inscrire dans une démarche opposée, de me démarquer de la démarche superficielle qui a annoncé que c'est le printemps arabe, qui signifie qu'il y a une similitude entre les Arabes et le reste du monde, que c'en est fini avec Ben Laden. Sur l'avenue Bourguiba et place Tahrir, il y a des filles et des jeunes gens qui parlent anglais et français qui sont sur tweeter et facebook. C'est comme l'Amérique latine ou l'Europe de l'Est autrefois. C'est la fin de l'histoire, tout le monde est pareil. Et puis, un an plus tard, c'est un discours complètement inverse qui annonce qu'il n'y a rien à faire avec les Arabes, que c'est l'automne islamiste, que c'est le clash des civilisations de Samuel Huntington. Pour ma part, j'ai voulu savoir ce qui s'est passé effectivement, et je me suis démarqué de ces deux lectures.
La révolution a été faite par les couches populaires, les classes moyennes s'y sont ralliées. Les slogans revendiquaient une justice sociale et la liberté. Au regard de ce que nous vivons aujourd'hui, les révolutions ont-elles été confisquées, dévoyées ?
Des gens expliquent effectivement que les révolutions ont été confisquées par les islamistes. Mais en même temps, si les islamistes ont emporté la majorité, soit absolue, en Egypte, soit relative, en Tunisie dans les élections, c'est parce qu'ils disposaient d'un certain nombre d'atouts. Une opposition structurée, disciplinée dans des partis qui transmettent les ordres. Une croyance en une idéologie commune qui les soudait. Et quand il s'était agi de passer à l'électorat, les islamistes ont su faire venir des électeurs. Alors que face à eux, il y avait des mouvements laïques éparpillés en autant de partis qu'il y avait de dirigeants. D'un autre côté, les islamistes incarnaient d'une certaine manière la figure par excellence de la résistance aux anciens régimes. Ils avaient payé le prix élevé, ils ont été tués et torturés. Les islamistes ont eu à la fois de l'organisation, de la légitimité et des moyens. Le rôle du Qatar dans le soutien des frères musulmans est un élément qui a joué un rôle non négligeable.
Vous avez rencontré des dirigeants politiques. En Egypte, ceux que vous avez connus depuis trente ans sont maintenant au pouvoir. Ici, en Tunisie vous avez rencontré M.Ghannouchi et le président Marzouki, quelle est votre perception par rapport aux uns et aux autres ?
Il y a trente-cinq ans, j'avais fait ma thèse sur les mouvements islamistes égyptiens dans les universités. A l'époque, mon travail avait été accueilli par les critiques de mes collègues. Ils disaient que s'intéresser à des groupes marginaux, et analyser l'Egypte à travers les mouvements islamistes, c'est aussi idiot que d'analyser la France à travers Action directe. Il se trouve que trente-cinq ans après, ceux dont je traduisais les tracts à l'université sont aujourd'hui au pouvoir. C'est un enjeu important, cela m'a permis de les mettre en perspective. D'avoir avec eux une certaine familiarité. Ce livre essaye de filtrer ces voyages intenses, j'en ai fait 35, et retenu 14, pour les mettre en rapport avec mes quarante ans d'expérience.
Par ailleurs, je crois que quelles que soient les vicissitudes et les difficultés comme celles qu'on observe aujourd'hui. Et encore, la Tunisie s'en sort mieux que la plupart des pays qui ont eu des révolutions, une grande partie des institutions fait l'objet d'un consensus des classes moyennes. Même si on voit aujourd'hui que l'explosion salafiste est due largement à des gens qui refusent ce consensus. Soit pour des raisons idéologiques, pour les dirigeants des groupes, soit, pour ceux qui suivent le mouvement sans être convaincus idéologiquement, parce que les salafistes ont su aujourd'hui probablement exprimer dans leur langage, le mécontentement et les frustrations des laissés-pour-compte sociaux. Les révolutions arabes sont des révolutions politiques. Mais elles ne sont pas traduites en des révolutions sociales. Les hiérarchies sociales n'ont pas été bouleversées, à part que les groupes proches des nouveaux partis au pouvoir profitent des changements économiques. Du coup, comme il n'y a pas eu d'exutoire social, paradoxalement les salafistes qui recrutent dans toutes les couches de la société, mais ont une implantation très forte dans les milieux les plus populaires, traduisent, par-delà la violence et l'extrémisme, un certain nombre de frustrations sociales.
Si on regardait du côté du monde arabe, une révolution au Bahreïn n'a pas abouti. Seraient-ce les enjeux extérieurs qui ont fait que cette révolution avorte ?
Les enjeux à la fois extérieurs et intérieurs. Au Bahreïn, la majorité de la population est chiite, les Etats du Conseil de coopération du Golfe ont eu peur que si la monarchie sunnite du Bahreïn était renversée, le pays deviendrait un Etat chiite qui, comme l'Irak, basculerait du côté de l'Iran. D'autre part, il y a le fait, déterminant, que le Bahreïn est situé stratégiquement dans la ligne de fracture sunnite, chiite, et irano-arabe. Mais c'est aussi un pays situé dans la principale zone d'exportation de pétrole et de gaz de la planète. 25% des hydrocarbures mondiaux sortent chaque jour du détroit d'Ormuz. La déstabilisation du Bahreïn conduirait à la déstabilisation du système des pays du Golfe, et ça se traduirait par l'augmentation du baril de pétrole. Alors quoi que s'y passe à Sidi Bouzid, ça n'aura pas d'incidence sur le prix de l'essence à la pompe à New york
Pour faire le parallèle, une révolution réussit parce qu'on le souhaite; au cas contraire, elle est mise en échec ?
Un autre facteur à considérer, pour les pétromonarchies conservatrices du Golfe, pour lesquelles les mots démocratie et liberté n'étaient pas une musique agréable, détourner l'énergie des révolutions vers le conflit sunnite-chiite devenait une ressource politique. C'est pour cette raison qu'aujourd'hui, la révolution en Syrie a été transformée en guerre civile, prise en otage par la confessionnalisation de la société syrienne. Au Liban et en Irak, c'était la même chose. En outre, les puissances régionales et nationales, à travers la guerre en Syrie, veulent pousser leurs intérêts. L'Iran utilise la Syrie de Bachar Al-Assad comme une ligne de défense avancée, les autres veulent faire tomber Assad, parce qu'ils pensent que l'Iran sera ainsi durablement affaibli.
La guerre civile syrienne coûte cher en vies humaines, les chiffres de l'Onu sont tombés : 93 mille morts. Des chiffres qui seront probablement revus à la hausse. Paradoxalement, des démocrates du monde arabe appellent à ce que Bachar Al-Assad soit maintenu au pouvoir.
Justement, on est en pleine contradiction des révolutions arabes. Un parti comme le Hezbollah, incarnait la révolution dans le monde arabe, y compris chez les sunnites, comme on l'a vu après la guerre des 33 jours de l'été 2006. Aujourd'hui, le Hezbollah a joué un rôle essentiel pour la reconquête de la ville de Qosseir en Syrie, aux côtés des forces régulières de Bachar Al-Assad. Ces forces représentent pour un certain nombre d'Arabes les forces de l'oppression. Or, dans les déclarations faites par les combattants du Hezbollah, ils ont expliqué qu'ils avaient trouvé dans Qosseir des rebelles syriens utilisant les tactiques, le creusement de tunnel, qu'eux-mêmes avaient utilisées contre Israël au sud du Liban. Et que c'était les gens du Hamas à qui ils avaient appris ces techniques qu'ils avaient, à leur tour, apprises aux rebelles syriens.
Aujourd'hui du côté de Bachar Al-Assad, l'Iran chiite et la Russie anciennement soviétique se sont alignés. En face une coalition très hétérogène ; Arabie Saoudite et Qatar, étant eux-mêmes en conflit pour l'hégémonie sur le monde arabe sunnite. Le Qatar soutenant les frères musulmans, l'Arabie Saoudite les salasfistes. La Turquie qui a un souci historique avec les Arabes. Israël qui bombarde l'armée de Bachar Al-Assad, quand celle-ci livre des armes au Hezbollah, à côté des salafistes. C'est un camp soviéto-chiite contre une coalition salafo-sioniste, et les occidentaux qui ne savent plus à quel saint se vouer. La situation est particulièrement complexe et fait exploser les certitudes du monde arabe. Qui sont les bons, qui sont les méchants, en Syrie par exemple ? C'est beaucoup plus compliqué pour les Arabes que de dire Israël est l'ennemi. On observe un certain nombre de réalignements qui sont complexes. Et je pense que le mouvement des révolutions arabes n'est pas terminé.
Au lendemain des élections de 2011 en Tunisie, on a appelé à sceller une sorte d'union sacrée entre islamistes modérés et laïques modérés. Le fameux compromis historique. Les observateurs déclarent l'échec de ce compromis. Quelle est votre perception de l'avenir ?
Il faudra attendre ce que les prochaines élections vont donner. Si Ennahdha remporte la majorité significative, cela va sans doute le renforcer. Mais s'il subit une défaite ou une baisse importante du nombre des électeurs, je crois que c'est sa cohésion qui sera mise à rude épreuve. On a déjà vu que l'assassinat de Chokri Belaïd a contraint Hamadi Jebali à se mettre en réserve de la République, montrant donc qu'il y a aujourd'hui plusieurs lignes possibles qui sont issues du mouvement Ennahdha. Pour la démocratie islamiste, comme il y a en Turquie. Nous constatons aujourd'hui que le modèle ne ressemble pas aux contes de fées que racontaient les frères musulmans, il est aussi pétri d'un certain nombre de contradictions.


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