Mercredi 19, il est 9h35 environ. La station radio Zitouna propose, par cheikh interposé, une prédication portant sur les vertus du mois saint. Logique : nous sommes – presque – à la veille du mois de Ramadan. Le rhéteur commence par exhorter les parents à faire en sorte que leurs enfants, en ce mois de chaâbane, s'habituent d'ores et déjà à observer au moins deux heures de jeûne par jour afin d'être préparés, le mois M, à tenir le coup trente jours durant. Mais très vite, le discours glisse vers l'animation des soirées de Ramadan, et l'orateur s'attaque directement aux télévisions tunisiennes coupables, à ses yeux, de fourvoyer les musulmans du droit chemin en leur proposant des «films et des feuilletons immoraux, n'ayant aucun rapport avec les principes de l'islam en général et du mois saint en particulier» (sic). Par conséquent, il préconise, à la place, «des prêches du soir où on rappelle à la communauté musulmane ses devoirs religieux, plutôt que ces feuilletons qui traitent, comble de l'aberration, de problèmes sociaux». En somme, les feuilletons ne sont pas halal, c'est clair. En fait, un tel discours n'est pas nouveau, c'est une autre culture qui, depuis près de trois ans, se met petit à petit en place, et laquelle s'efforce, jour après jour, de bannir la culture des Tunisiens pour la supplanter. Que la Tunisie ait l'arabe pour langue, et l'islam pour religion, personne n'est contre ; que des prêches de jour ou de soir se fassent sur les ondes des radios ou sur les plateaux de chaînes de télévision, personne ne peut être contre. Mais que même les feuilletons soient, maintenant, taxés de haram, cela devient plus que discutable. Il faudrait rappeler d'abord que, d'après la Sunna, le Prophète lui-même aimait rire et se divertir après la prière du soir, une fois en famille. Le Prophète était aussi un être humain et, à ce titre, le divertissement pour lui n'est point répréhensible en soi. Et qu'on ne nous dise pas que le divertissement d'il y a quinze siècles n'a, certes, aucune commune mesure avec le divertissement que nous connaissons de nos jours. A chaque époque son style et ses modes. Et puis, que les feuilletons tunisiens traitent de problèmes sociaux, voilà qui est à applaudir. Car, il ne serait pas haram de dresser ici un parallèle : aussi bien les prêches qui tendent à rappeler leurs devoirs aux musulmans, que les feuilletons qui tendent à mettre à nu les erreurs de la société, le tout contribue, en fin de compte, à corriger l'individu, à le mettre sur le droit chemin. Bien sûr, les deux discours n'utilisent pas les mêmes idiomes ni ne sont dans un même registre. Mais on ne pense pas que la piété rejette, ou soit contre, la correction de la société. Il y a un travail qui se fait dans la mosquée, mais il faut admettre aussi qu'il y a un autre travail qui incombe aux médias. Tant que le tout se complète pour une même finalité, où réside le mal, ou le haram ?