Dans la perception du citoyen, Rachid Ammar n'est pas seulement le chef d'état-major. Il est aussi l'homme qui a protégé la révolution. Son départ met la classe politique du pays face à ses responsabilités. De nombreaux observateurs ont été surpris par cette annonce de retrait de la part du chef d'état-major interarmées Rachid Ammar. Personnellement, je ne l'étais pas trop. En une première lecture, l'homme a ses raisons de quitter. Lui, il a évoqué des raisons personnelles ainsi que la question de l'âge. Je dirais que s'il commence à faire l'objet de critiques et de polémiques, c'est plutôt l'image et la légitimité de l'armée qui risquent d'être mises en cause. En observant l'homme, je pense que c'est quelqu'un qui ne souhaite pas mettre l'institution de l'armée dans une telle situation. L'atmosphère est lourde et sujette aux polémiques. S'il reste, les uns et les autres vont nourrir ces polémiques et c'est l'armée qui risque de payer la facture et les pots cassés. On parle de tous ceux qui ont cru atteindre Rachid Ammar et l'institution militaire, qu'il s'agisse des partis politiques ou des groupuscules terroristes. Nous sommes en présence de différents agendas politiques. Il y a des personnes qui ne partagent pas le même projet pour la société tunisienne. Elles vont tout faire pour atteindre l'Etat et ses institutions. A un deuxième niveau de lecture, les militaires sont des hommes d'honneur et la symbolique est importante pour eux. Je ne crois pas qu'ils quittent comme ça sur un coup de tête. Dans la perception du citoyen, Rachid Ammar n'est pas seulement le chef d'état-major. Il est aussi l'homme qui a protégé la révolution. Il ne part pas comme ça, sans raison, et son départ met la classe politique du pays face à ses responsabilités. Sans pour autant faire le lien entre les deux, il y a eu un premier départ, celui du ministre de la Défense, Zbidi, et là on a un deuxième départ d'un autre symbole de l'Etat. Les départs volontaires se font généralement et logiquement soit quand quelqu'un sent qu'il a mené à bon terme sa mission et qu'il n'a plus rien à donner, ou alors, dans un deuxième cas de figure, quand il ne dispose plus des conditions idoines pour exercer ses fonctions. En principe, il ne devrait pas y avoir de crise politique ou institutionnelle mais, tout de même, c'est un coup pour la société tunisienne dans son ensemble. Une société qui a besoin de références à l'instar de la Constitution, l'ordre légal, les dirigeants, les intellectuels, la valeur de la monnaie, la sécurité, etc. Qui dit constitution, dit institutions, si on n'a plus de personnalités politiques autour desquelles il existe un consensus, si la monnaie est en chute, si la situation sécuritaire n'est pas toujours stable, et qu'on a un repère qui est là pour la société et qu'il parte. On a le sentiment de rester orphelin... Par ailleurs, je crois personnellement à la continuité de l'Etat et de ses institutions. L'enjeu est : qui va remplacer Rachid Ammar? Je pense que personne ne peut le remplacer. Certes, personne n'est indispensable mais des hommes symboles, on ne les fabrique pas. Et du calibre du général Rachid Ammar, on n'en a qu'un. Certes, on a des généraux et des gens expérimentés mais c'est une question de symbolique aussi. C'est une personne qui est parvenue à fédérer et à jouer un rôle déterminant dans le processus de transition démocratique, tout en préservant la neutralité de l'institution de l'armée. Aussi, le poste de chef d'état-major, au-delà du statut de nature militaire de la fonction, c'est une responsabilité politique. Et nous sommes dans une période où la responsabilité politique est ouverte à la concurrence. Il ne faut surtout pas politiser la succession de Rachid Ammar. Même si le général part, l'homme continuera à jouer un rôle important.