Par Jallel SAADA Depuis quelques semaines, l'Egypte est en effervescence. Dans les rues, dans les débats télévisuels, dans les cafés, devant les kiosques à journaux, dans les salons de coiffure, là où la parole circule, Tamarod est devenu le cœur au rythme duquel enfle la contestation du pouvoir des Frères musulmans. Ces derniers n'ont pas arrêté de cumuler les échecs. Cherté du coût de la vie, chômage en progression, coupures du courant électrique, files interminables des camions et des taxis collectifs devant des stations où le carburant fait défaut, tourisme en panne, violences, menaces contre les journalistes, contre les magistrats, contre les artistes,... circulation des armes, rumeurs alarmantes sur la constitution d'une « armée libre » destinée à défendre le pouvoir défaillant en place. Les Egyptiens n'en peuvent plus ! Dans ce contexte, les promoteurs de Tamarod à savoir ceux que les Egyptiens dénomment « les jeunes de la révolution», constatent, (je cite), que la sécurité n'est toujours pas revenue, que les démunis sont toujours ignorés, qu'aucune justice n'a été rendue aux martyrs de la révolution, que la lignité du citoyen et du pays demeure bafouée et enfin que l'économie s'est effondrée, que l'Egypte demeure tributaire de la mendicité de l'aide étrangère, que l'Egypte continue à être soumise aux Etats-Unis. De leur point de vue, les Frères musulmans sont incapables d'apporter des solutions aux difficultés de l'Egypte, car, pendant que la situation ne cesse de se dégrader, le souci majeur de ces derniers reste l'accaparement du pouvoir, à savoir le « tamkin ». Dans cette course pour le contrôle partisan des appareils de l'Etat, la fidélité des hommes promus semblent primer sur l'impératif des compétences requises pour la gestion des affaires publiques. Partant de là, les promoteurs de Tamarod et leurs sympathisants réclament la destitution du président de la République, premier responsable de cette situation de fait et appellent à l'organisation d'une élection présidentielle anticipée. Pourtant, l'Egypte a connu plusieurs consultations électorales depuis le 25 janvier 2011 et ceux qui sont actuellement au pouvoir n'y sont pas arrivés à la faveur d'un coup de force ; non ! Ils bénéficient de la légitimité des urnes. Seulement voilà, si les Occidentaux ont mis deux siècles pour expérimenter et découvrir les limites de la démocratie représentative, il n'a fallu que quelques mois à la jeunesse égyptienne pour constater les insuffisances de ce système. Le temps de la maturation politique s'accélère. Les Egyptiens découvrent intuitivement que la légitimité des urnes ne suffit pas à asseoir la légitimité d'un pouvoir quel qu'il soit. Le contrôle et la surveillance des instances et des institutions élues au suffrage universel par la société civile deviennent nécessaires pour rectifier les errements du pouvoir politique. En lançant, officiellement le 28 avril 2013, la campagne de contestation de la légitimité du président élu, Mohamed Morsi, la jeunesse égyptienne ne fait que mettre en œuvre ce que les sociologues du politique appellent la démocratie de la surveillance. Sous la forme d'une pétition soumise à l'approbation individuelle de chacun de ses signataires, le mouvement Tamarod («rebelle ») a fait le pari de recueillir 15 millions de signatures avant le 30 juin 2013. Le 20 juin, alors que la signature de cette pétition se poursuit et s'accélère, ses promoteurs ont annoncé que l'objectif des 15 millions était déjà atteint et que, pour anticiper des attaques potentielles visant à semer le doute dans les esprits, ils allaient demander aux instances des Nations Unies d'en vérifier l'authenticité. Et le mouvement est loin de s'essouffler puisque, le 24 juin au soir, plusieurs chaînes de télévisions rapportent que le cap des 17 millions était franchi ! Tout indique que d'ici le 30 juin, le nombre des signataires est appelé à s'agrandir. Aujourd'hui, l'Egypte vit dans l'attente de l'échéance du dimanche 30 juin où des millions de manifestants sont attendus à descendre dans les rues, pour demander pacifiquement le départ de M. Morsi et l'organisation d'élections présidentielles anticipées. Seront-ils tolérés et écoutés ou seront-ils contrés par la violence et le déni ? Le souffle de tout un peuple est suspendu... Beaucoup de similitudes entre la situation de l'Egypte et celle de la Tunisie. Beaucoup d'analogies dans la gestion chaotique des affaires publiques par les Frères des deux pays. La Tunisie a bien inauguré ce qui fut appelé le printemps arabe, un événement salué par le monde entier. Mais, par leur incompétence et parce qu'ils s'accrochent, malgré tous leurs échecs, au pouvoir, au nom d'une légitimité électorale devenue caduque depuis le 22 octobre 2012, la Troïka et plus particulièrement Ennahdha et le CPR ont réussi l'exploit d'enfermer notre pays dans les faux débats et dans l'impasse de la violence. Comment mettre un terme à ce cauchemar quand toutes les initiatives de recherche d'un consensus national pour sortir de la présente phase transitionnelle sont sabordées, d'une façon ou d'une autre, par les composantes de la troïka ? Il devient de plus en plus clair que l'obstacle ne saura être surmonté sans une irrésistible, pacifique et unitaire pression populaire. L'imagination, l'énergie et la clairvoyance des promoteurs de Tamarod auxquels il convient de rendre, ici, un hommage appuyé, constitueront-ils un modèle de sortie du piège tendu par la nouvelle dictature en marche dans notre pays ?