Le forum de la mémoire, l'université du peuple, le forum du 21e siècle, Génération Hached... Ce sont là les programmes clés d'une fondation en quête de passerelles entre le passé et l'avenir. Difficile de rater le bâtiment situé dans la zone commerciale de la Cité Mahrajen, au Belvédère. La Fondation Farhat-Hached, qui vient d'ouvrir ses portes, accueille les visiteurs sous le sourire débonnaire d'un immense portrait du leader syndicaliste. Ce rêve devenu un projet minutieusement structuré remonte à l'année 1965. Lorsqu'étudiant à Paris, le fils du leader syndicaliste découvre combien l'Europe semble redevable aux personnages de son histoire engagés dans les causes qui ont fait sa grandeur. Cette fidélité se traduit par la volonté de perpétuer et de transmettre leur héritage à travers des institutions, relais des valeurs de liberté, de solidarité, d'humanité et de savoir pour lesquels ces hommes se sont battus. Le projet traverse des péripéties liées notamment au culte de la personnalité de ceux qui nous ont gouvernés jusqu'au 14 janvier 2011 et aux blocages juridiques qu'affrontent tous ceux désirant lancer une fondation en Tunisie. 100.000 documents et 10.000 ouvrages La vocation de la fondation, que préside Noureddine Hached, commence à prendre forme avec l'enrichissement, au gré des années, du fonds personnel de l'ancien diplomate sur son père : sa vie, sa mort, ses mots, son œuvre. La recherche de la vérité sur le meurtre de Farhat Hached le 5 décembre 1952 est à l'origine de l'accumulation de tous ces précieux documents à propos de l'histoire du mouvement syndical tunisien, de la lutte pour l'indépendance, du mouvement de réforme en Tunisie et dans le monde arabe, de données sociologiques, politiques, économiques et culturelle sur la Tunisie sous le protectorat français, des relations internationales et du système colonial qui viendront compléter le premier noyau d'archives. 100.000 documents en tout (photos, enregistrements audios, vidéos, rapports de police, correspondances administratives et personnelles, articles de presse, discours, tracts) et 10.000 ouvrages sont aujourd'hui en phase de traitement pour être mis bientôt à la disposition des chercheurs tunisiens et étrangers dans le centre de documentation de la fondation. Les archives sur l'assassinat de Hached, mises sous embargo depuis l'année 1952, livrées le 5 juillet dernier à la famille par le président Hollande (voir notre article d'hier) seront mises à la disposition du grand public sur le site de la fondation, actuellement en construction. Le centre de documentation est le cœur battant du forum de la mémoire. «Pourquoi ne pas lancer une école historique tunisienne ?» Le forum de la mémoire, qui sera géré par une commission scientifique d'historiens, est l'espace clé de la nouvelle institution. A côté des recherches, des publications, des séminaires, il organisera les lundis de l'histoire, des conférences présentées par des historiens sur des personnages et des évènements marquant le passé de ce pays. Une sorte d'université du peuple, qui veut redonner le goût de l'Histoire aux Tunisiens. Et aussi selon le rêve secret du fondateur, initier «une école historique tunisienne». Des bourses de recherche seront offertes à tous ceux qui désirent approfondir le travail sur la mémoire de ces dix-neuvième et vingtième siècles. La justice transitionnelle pour la période coloniale (1881- 1956) fait également partie des programmes du forum de la mémoire. Un comité mixte tuniso-français de juristes, d'historiens et de personnalités connues pour leur honnêteté intellectuelle fera la lumière sur une sombre page d'une histoire dont les blessures restent parfois encore ouvertes. Le second centre d'intérêt de la fondation est porté par une dimension prospective sur l'avenir. Le forum du siècle est un laboratoire, très proche d'un think tank, qui cherche à mobiliser experts, diplomates, politiciens autour d'études stratégiques en rapport avec le XXIe siècle. Et parce que le leader syndicaliste dans son fameux article écrit et publié en 1950 : «Je t'aime ô peuple» («Ouhibouka Ya Chaâb»), des actions citoyennes cibleront les enfants des écoles, collèges et lycées portant son nom couvrant tout le territoire tunisien. Trouver des passerelles entre le passé, le présent et l'avenir pour mieux s'intégrer dans ce siècle nouveau, sous le regard bienveillant de l'un des hommes les plus marquants de la Tunisie contemporaine, semble être l'objectif profond de la fondation...