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Le peuple manque
Opinions
Publié dans La Presse de Tunisie le 25 - 06 - 2012


Par Mohamed KOUKA
«L'homme s'est toujours servi de l'art comme d'un moyen de prendre conscience des idées et des intérêts les plus élevés de son esprit, les peuples ont déposé leurs conceptions les plus hautes dans les productions de l'art, les ont exprimées et ont en pris conscience par le moyen de l'art», dit Hegel dans ses leçons sur l'esthétique. Le génie d'un peuple s'exprime, s'extériorise par le moyen de l'œuvre d'art, ainsi ses idées et ses intérêts les plus hauts.
Mais, l'histoire de l'art débute par une vigoureuse condamnation. Platon est hostile à toute expression artistique mimétique «art du simulacre», fondé sur l'imagination reproche-t-il. Un texte capital de la République (le livre X, 595a) permet de définir la place qu'occupent les arts auxquels sera plu tard réservé la production de la beauté. C'est dans le cadre général d'un projet politique que s'insère la question du théâtre, dans le cadre notamment d'une éducation en vue du gouvernement par les philosophes. L'idée artistique, disons ‘esthétique', se trouve ainsi incluse au sein d'une réflexion plus large, plus concrète, pédagogique et politique. Socrate et ses interlocuteurs fondent, en effet, une citée idéale où règne la justice. Vient un moment où il apparaît nécessaire d'exclure les ‘artistes', qui pratiquent la ‘mimêsis'. La définition de l'art comme ‘mimêsis' se rattache de façon profonde à la conception grecque de l'être et de la vérité .L'être, défini comme Idée, est permanent ; il s'oppose au changement et au devenir. Cet être c'est ce que Platon appelle «essence», «forme» ou Idée. L'Idée est ce qui, par sa présence, fait qu'une chose est ce qu'elle est (un lit). Le peintre est comparé par Socrate à l'homme au miroir. Le miroir rend présent « produit » au sens grec (poiein) une chose telle qu'elle est, reconnaissable — ici ‘poiein' ne veut pas dire fabriquer. Cependant, le miroir ne produit pas les choses dans leur vérité, mais les choses «dans leur apparence». La ‘mimêsis' est une production subordonnée qui se définit par la distance, par l'éloignement par rapport à l'être, à l'Idée de lit, à la forme non figurée. L'artisan fabrique un lit qui a l'unité, l'identité d'une chose au second degré, par rapport au modèle, à l'Idée de lit. Le peintre en revanche ne peint qu'un aspect du lit, imite le lit non pas tel qu'il est mais tel qu'il apparaît. Il peint un ‘phantasma'. La peinture se définit donc par son éloignement du réel et du vrai, elle produit un simulacre, une idole (eidolon).Ce qui est vrai de la peinture l'est aussi pour la poésie et finalement définit l'art, au sens moderne, par rapport aux autres productions, «tous les praticiens de la poésie sont des ‘imitateurs' qui produisent des simulacres de vertus. (600e). Dans l'ordre moral platonicien, il y a toujours inadéquation de la copie au modèle. Au mieux, les artistes imitent l'objet fabriqué par l'artisan. Au pire, ils représentent n'importe quoi. Potentiellement, l'art représente un danger dès lors qu'il tente d'échapper à l'empreinte du discours philosophique et scientifique qui lui assigne une place déterminée dans la cité, et s'oppose à l'ordre du logos, qui est vérité et raison confondues. L'art, selon Platon, fait oublier les vraies réalités, vers lesquelles la Beauté reconduira. Beauté qui, ne l'oublions pas, n'a rien à voir avec les arts mimétiques, c'est-à-dire les «beaux-arts» qui sont une pratique illusionniste, mystificatrice. Platon définit ces arts non par la Beauté mais par la mimésis, c'est-à-dire par une infériorité ontologique, par l'éloignement des vraies réalités, des Idées vers lesquelles la beauté doit reconduire. Il oppose à l'art grec du simulacre, l'art égyptien de la copie qui produit une image semblable au modèle et non une apparence, en respectant «les proportions véritables des belles formes» sans viser la tromperie.
Beauté des corps, beauté de l'esprit
L'art platonicien du Beau cherche à purifier le plaisir et à le remplacer par la saisie intellectuelle des essences. L'Idée du Beau à laquelle on parvient au terme d'une ascension dialectique (l'art suprême selon le ‘Philèbe') est magistralement décrite dans Le Banquet , dialogue philosophique, et œuvre admirablement...poétique. De la beauté des corps, on tend à la beauté de l'esprit, des lois et des sciences, enfin à la Beauté elle-même. La beauté est définie, en fait, comme la réalisation d'un ordre intellectuel qui a comme fin la triade «bien-vrai-beau».
L'antithèse ne se fait pas attendre, elle provient du disciple : Aristote. Le Stagirite prend le contre pied du Maître, non seulement il réhabilite la ‘mimêsis', mais il en fait un axe pédagogique essentiel d'éducation, de libération pour l'homme par le biais de la catharsis.Il fait mention au chapitre quatre de sa Poétique de la tendance naturelle chez l'homme à la ‘mimêsis' au plaisir provoqué par la représentation. Il explique comment ce plaisir est lui aussi une tendance naturelle chez l'être humain : «Dès l'enfance, les hommes ont, inscrites dans leur nature, à la fois une tendance à représenter (...) et une tendance à trouver du plaisir aux représentations. Nous en avons une preuve dans l'expérience pratique : nous avons plaisir à regarder les images les plus soignées des choses dont la vue nous est pénible dans la réalité, par exemple les formes d'animaux parfaitement ignobles ou de cadavres ; la raison en est qu'apprendre est un plaisir non seulement pour les philosophes, mais également pour les autres hommes (...) en effet si l'on aime à voir les images, c'est qu'en les regardant on apprend à connaître et on conclut ce qu'est chaque chose comme lorsqu'on dit: celui-là,c'est lui». Aristote dira que «la poésie est plus philosophique et plus noble que la chronique». La poésie (c'est-à-dire la tragédie ou l'épopée) ne s'en tient pas à la réalité mais en produit, grâce à la fiction, une intelligence. Nous pourrons dire, à la suite de Nietzsche, que l'esthétique platonicienne est l'esthétique du spectateur aux yeux duquel l'original vaut toujours mieux que la copie, tandis que l'esthétique aristotélicienne est l'esthétique du créateur,c'est-à-dire du poète, au sens où les Grecs entendent ce mot: «une disposition à produire (poiesis) accompagnée de règles». C'est ainsi que pour Platon, le spectacle tragique affaiblit l'âme du spectateur atteint par la contagion mimétique de la crainte et de la pitié. Inversement, la tragédie selon Aristote propose plutôt une leçon morale : elle montre ce que peut la liberté d'agir qui n'appartient qu'à l'homme et quelle est la valeur d'un acte délibéré quand il est accompli avec ardeur et assumé jusqu'en ses extrêmes conséquences. Platon juge la tragédie par l'effet qu'elle induit dans l'âme passive du spectateur, Aristote par l'action exemplaire qu'elle propose à notre réflexion. Toutefois comme le souligne Paul Ricœur, chez Aristote, «la réalité reste une référence , sans jamais devenir une contrainte. C'est pourquoi l'œuvre d'art peut être soumise à des critères purement intrinsèques, sans que jamais interfèrent, comme chez Platon, des considérations morales ou politiques,et surtout sans que pèse le souci ontologique de proportionner l'apparence au réel».
Essence et apparence
Mais l'art crée des apparences et vit d'apparence. Au fond, qu'est-ce que l'apparence, se demande Hegel ? Quels sont ses rapports avec l'essence ? Loin d'être quelque chose d'inessentiel, l'apparence constitue, au contraire, un moment essentiel de l'essence. Le vrai existe pour lui-même dans l'esprit, apparaît en lui-même et est là. Il peut donc y avoir plusieurs sortes d'apparences pour les autres; la différence porte sur le contenu de ce qui apparaît. Si donc l'art a une apparence, il a une apparence qui lui est propre, nous apprend Hegel, mais non une apparence tout court. On peut dire avec raison , poursuit ce dernier, que ce que nous appelons réalité est une illusion plus forte , une apparence plus trompeuse que l'apparence de l'art. Dans son apparence même,l'art nous fait entrevoir quelque chose qui dépasse l'apparence : la pensée; alors que « le monde sensible et direct, loin d'être la révélation implicite d'une pensée,dissimule la pensée sous un amas d'impuretés, pour se mettre lui-même en relief, pour faire croire que lui seul représente le réel et le vrai». L'art, au contraire dans toutes ces représentations, nous met en présence d'un principe supérieur; c'est ainsi que loin d'être, par rapport à la réalité courante, de simples apparences et illusions, les manifestations de l'art possèdent une réalité plus haute et une existence plus vraie, estime Hegel, qui, ce faisant, ne s'écarte pas du principe platonicien : «On doit considérer, non les objets particuliers, qualifiés de beaux, mais le Beau». (Hippias majeure). Ce qui doit servir de base, ce n'est pas le particulier, ce ne sont pas les objets particuliers, les phénomènes, etc., mais l'‘idée'. Ce qui justifie l'application à l'art du point de vue de la pensée. «L'universalité du besoin d'art ne tient pas à autre chose qu'au fait que l'homme est un être pensant et doué de conscience...l'œuvre d'art est un moyen à l'aide duquel l'homme extériorise ce qu'il est» .L'art est universel au-delà des différences de styles puisqu'il est une forme de réflexivité inhérente à toute conscience humaine. C'est l'Esprit se prenant pour objet : «l'esprit ne retrouve que lui-même dans les produits de l'art».L'art, au même titre que la religion et la philosophie, prétend à la saisie de l'absolu, ce sont des modes par lesquels on atteint à la réalité de la suprême unité. La spécifité de l'art et du Beau réside dans la représentation sensible. L'art révèle à la conscience la vérité sous une forme sensible. L'unité de l'idée et de l'apparence individuelle est l'essence même du Beau. Le Beau n'est rien d'autre que la manifestation sensible de l'Idée. On retrouve Platon.
Eveil de l'âme
D'une façon générale, le but de l'art consiste à rendre accessible à l'intuition ce qui existe dans l'esprit humain, la vérité que l'homme abrite dans son esprit, ce qui remue et agite la poitrine humaine et agite l'esprit. On ne peut ainsi mieux le formuler que Hegel : c'est ainsi que l'art renseigne l'homme sur l'humain, nous met en présence des vrais intérêts de l'esprit. Eveiller l'âme : tel est le but final de l'art. «Rien de ce qui est humain ne lui est étranger».
Dans l'art véritable n'apparaît pas seulement l'expression personnelle du génie de l'artiste, mais aussi toutes les interrogations et les conceptions d'une époque qui se donnent une forme objective (celle de l'œuvre) ; l'œuvre est un moyen de se contempler, de s'instruire et d'apprendre; d'être mûr pour la liberté, disponible pour la morale et la politique. L'art peut-il être placé en amont de la politique? Il n'est pas question ici de l'art engagé dans ce sens où il réagit à une situation politique donnée, trouve son sens à partir d'une réalité déjà là et qu'il dénonce, la question est plutôt de savoir si l'art peut être placé en amont de la politique ; plus radicalement, si l'art peut lui-même à partir de lui-même donner l'idée d'un nouvel état de la réalité et contribuer à transformer intérieurement l'homme, tellement, qu'il soit prêt à entrer dans une nouvelle étape plus lumineuse de son histoire. Bref, la question n'est pas seulement de savoir si l'art peut revendiquer le pouvoir d'éveiller une conscience politique, mais bien s'il peut rénover ou changer le caractère de l'homme citoyen, pour le mettre sur la voie de son accomplissement.
Ce qui vient de se produire au palais Abdellia, suite à une exposition de peinture, somme toute banale, est d'une exceptionnelle gravité, au moins par ses conséquences immédiates. Le pays, d'Est à l'Ouest, du Nord au Sud , a été mis sens dessus dessous, avec mort et blessés au bout. C'est une agression à caractère régressif : la sainte Inquisition ! C'est une faute contre la libre pensée, contre l'esprit si l'on considère que «l'esprit ne retrouve que lui-même dans les produits de l'art». Nous avons dans ce fâcheux ‘incident' la preuve que l'art véritable n'est pas seulement fuite dans le divertissement. L'art n'est pas un simple objet. Il est sujet objet indissolublement ; il n'est pas seulement de l'ordre de la communication, l'art est de l'ordre de la résistance. L'art n'a rien à faire avec la communication qui a partie liée avec l'information et les mots d'ordre, observe Gilles Deleuze. L'œuvre d'art ne contient strictement pas la moindre information. En revanche, il y a une affinité totale entre l'œuvre d'art et l'acte de résistance. Cet acte de résistance a deux faces, il est humain et c'est aussi l'acte de l'art. Seul l'acte de résistance résiste à la mort, soit sous la forme d'une œuvre d'art, soit sous la forme d'une lutte des hommes. Le rapport le plus étroit et le plus mystérieux, souligne Deleuze, entre la lutte des hommes et l'œuvre d'art, «c'est exactement ce que Pau Klee voulait dire quand il disait “Vous savez, le peuple manque". Le peuple manque et en même temps, il ne manque pas. Le peuple manque, cela veut dire que (...) cette affinité fondamentale entre l'œuvre d'art et un peuple qui n'existe pas encore n'est pas et ne sera jamais claire. Il n'y a pas d'œuvre d'art qui ne fasse pas appel à un peuple qui n'existe pas encore»... A méditer...


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