Par Jawhar CHATTY «Qu'est-ce que le Tiers-Etat ? — Tout. Qu'a-t-il été jusqu'à présent ? — Rien», relevait l'Abbé Sieyès, au début de la révolution française. Face au peu de cas que semblent accorder les politiques au monde de l'économie, l'on est tenté d'admettre que la sphère de l'investissement privé tunisien fait aujourd'hui un peu figure d'un Tiers-Etat...bientôt trois ans après le déclenchement de la révolution tunisienne. Sans doute, le parallèle entre les deux ordres est-il un peu exagéré du moins aussi exagéré qu'un parallèle que l'on fait entre les conditions du patronat et celles de la masse laborieuse ! Il se trouve cependant que l'intensité d'une crise politique qui perdure fait pour une fois remarquablement converger les intérêts des uns et des autres. Les mêmes intérêts de survie. Depuis longtemps déjà, le débat n'est plus à la compétitivité de l'entreprise tunisienne. Le souci était devenu la pérennité de l'entreprise. Désormais, le souci est la survie de l'entreprise. La crise politique menace d'effondrement toute l'économie. L'économie est au bord de la faillite. Un mot jusque-là tabou mais qui, depuis le 25 juillet dernier, est relayé par plus d'un économiste tunisien. Le dernier communiqué de la BCT a , à cet égard, fort subtilement levé les derniers tabous. Le secteur privé monte au créneau. Il prend à témoin l'opinion publique en mettant en garde contre les conséquences désastreuses que pourrait avoir le prolongement de la crise politique actuelle sur l'économie nationale. Réunis lundi dernier au siège de l'Utica, les représentants du secteur privé tunisien ont lancé un ultime cri de détresse. Ils ont appelé à la formation d'un gouvernement de compétences nationales qui sera chargé d'assurer la sécurité et la stabilité nécessaires pour réussir la relance de l'économie tunisienne et réussir les prochaines échéances politiques du pays. Ce n'est pas la première fois que la première centrale patronale du pays tire la sonnette d'alarme. Seulement, cette fois-ci, les choses prennent une tournure à la mesure du risque de banqueroute que court l'économie nationale, au point d'amener l'Utica à réclamer l'état d'urgence économique (lire notre dossier). Il faut espérer que le gouvernement et la classe politique tunisienne dans son ensemble auront la lucidité nécessaire pour prendre la juste et réelle mesure de la détresse du secteur privé et du risque de blocage de l'économie nationale. «Le devoir de l'administrateur est de combiner et de graduer sa marche suivant la nature des difficultés... Si le philosophe n'est au but, il ne sait où il est. Si l'administrateur ne voit le but, il ne sait où il va», écrit encore l'abbé Sièyès dans son pamphlet «Qu'est-ce que le Tiers-Etat?» A méditer.