Par Hmida Ben Romdhane Tout se passe comme si Israël éprouvait un urgent besoin de mettre le monde entier au courant que les négociations entamées hier avec les Palestiniens ne sont pas sérieuses et qu'on ne doit rien en attendre. Trois jours avant le début de ces négociations, le cabinet du Premier ministre Benyamin Netanyahu annonce la construction de 1.200 unités de logement dans les colonies de Cisjordanie. Et comme si cela était insuffisant pour convaincre le monde du caractère absurde de ces négociations, le même Netanyahu annonce la construction d'un supplément de 900 autres unités dans la colonie de Gilo, sur les hauteurs de Jérusalem-Est, ce qui nous fait un total de 2.100 nouveaux villas et appartements pour d'autres milliers de futurs colons qui viendront rejoindre le demi-million déjà en place. Mais ce n'est pas tout. Les préparatifs pour un bon début des négociations ont continué jusqu'à l'aube de mercredi, jour prévu pour la rencontre des négociateurs, avec des F-16 israéliens bombardant la bande de Gaza en «représailles», explique-t-on à Tel Aviv, à des tirs de roquettes sur la ville israélienne de Sderot. Et là, deux explications sont possibles : soit le Hamas, dans une tentative de faire échouer ce énième round de négociations avant même qu'il ne commence, se trouve derrière cette provocation aussi inoffensive qu'inutile; soit alors les services secrets israéliens, qui ont largement les moyens de téléguider de tels tirs, sont derrière la provocation pour des raisons de politique intérieure visant à rassurer encore plus les milieux d'extrême droite et des colons, qu'inquiète tout contact avec les Palestiniens, sur le caractère théâtral de ces négociations. Maintenant, observons côté américain cette scène du théâtre de l'absurde qui s'est jouée, se joue et se jouera encore et encore ad nauseum. Tout d'abord, le représentant américain qui assiste maintenant à ces négociations n'est autre que Martin Indyck. Ce diplomate est connu pour avoir à peu près les mêmes idées et défendre à peu près les mêmes positions sur le conflit israélo-arabe que Netanyahu. Dans les années 1980, il était l'un des hauts cadres de l'Aipac (American Israeli Public Affairs Committee). Dans les années 1990, il était sous-secrétaire d'Etat aux affaires du Moyen-Orient avant de devenir ambassadeur des Etats-Unis à Tel-Aviv. Il est légitime de se demander ce que peut bien faire un tel personnage dans la salle des négociations, et quel rôle il peut bien jouer dans ce duel déjà bien inégal et où il est partie prenante et donc fondamentalement partial ? Le show se poursuit avec le secrétaire d'Etat John Kerry qui, du Mexique où il était en visite officielle, a trouvé le temps et le loisir de commenter la décision du gouvernement Netanyahu de construire 2100 unités de logement en ces termes : «Je ne pense pas qu'une telle décision ait un impact sur le processus de négociations». Pour une question de cohérence, il faut ajouter que ces négociations n'ont et n'auront aucun impact sur la réalité désastreuse dans les territoires occupés où la vie est de plus en plus infernale pour les habitants palestiniens, sans parler de l'impossibilité, géographiquement parlant, d'établir un Etat palestinien sur les 22% des terres de la Palestine historique, compte tenu de l'état avancé du charcutage de la Cisjordanie. Reposons encore une fois cette question lancinante : pourquoi les Palestiniens acceptent-ils de jouer des rôles dans une pièce de ce théâtre de l'absurde où le scénario, les acteurs, la mise en scène et la fin ne cessent de se répéter au détail près depuis presque 20 ans, c'est-à-dire depuis la signature des accords d'Oslo le 13 septembre 1993 ? Les négociateurs palestiniens se trouvent dans la situation de ces acteurs de théâtre sans ressource et qui sont dans l'obligation impérieuse d'accepter sans discussion tout rôle proposé. Mahmoud Abbas, Saëb Erekat, Hanan Achraoui et les autres responsables palestiniens ne peuvent pas refuser les propositions de la Maison-Blanche de s'asseoir à la table des négociations sous peine de déclencher la colère du Congrès américain si prompt à brandir la menace de geler l'aide financière américaine, indispensable au fonctionnement des institutions palestiniennes. Reste à décoder l'énigme américaine : pourquoi une grande puissance ressent-elle de temps à autre des démangeaisons qui, apparemment, ne se calment qu'en réunissant Israéliens et Palestiniens sur la table de négociations? Les décideurs à la tête de cette grande puissance savent pourtant que les dés, bien que pipés, sont jetés, qu'il n'y a plus rien à négocier, qu'Israël a raflé la mise manu militari et que, quelques jours ou quelques semaines plus tard, les négociateurs rentreront chez eux en attendant la prochaine invitation américaine. L'absurdité atteint ici des proportions telles que l'analyse politique est dans l'incapacité totale de donner une explication. Les instituts d'études politiques seraient peut-être bien inspirés de créer une filière où l'on étudiera les pathologies politiques. La matière serait inépuisable rien qu'en se penchant sur les incongruités nombreuses et répétitives de la politique moyen-orientale de Washington, la matière serait inépuisable.