«Pour le président de la République, cette crise est la neuvième depuis la révolution, mais c'est la plus dangereuse». C'est ce que rapporte en tout cas Ahmed Rahmouni, à l'issue d'une rencontre avec Moncef Marzouki. Le président de l'Observatoire national pour l'indépendance de la magistrature s'était rendu hier au Palais de Carthage en compagnie de l'intellectuel Slaheddine Jourchi, de l'avocat Ferhat Rajhi ainsi que du comédien Raouf Ben Yeghlane, en tant que représentants de l'Initiative de la protection du processus démocratique. Le constat d'un danger est partagé. Sans doute que les derniers événements tragiques en Egypte n'y sont pas étrangers. M. Rahmouni les souligne. Mais il fait aussi allusion aux rumeurs d'un «gouvernement parallèle» : «Comment la majorité peut-elle envisager un changement de gouvernement lorsqu'elle apprend qu'un gouvernement parallèle est déjà prêt...?» A ces deux facteurs négatifs s'ajoute un climat qui, indique le magistrat, n'incite pas au dialogue entre les protagonistes de la crise et qui, par conséquent, rend plus incertains les efforts engagés par l'Initiative. Il y a d'abord le fait que la rue et les sit-in continuent de créer de la pression. Il y a ensuite le fait que des médias ont tendance à amplifier cette pression et n'appellent pas assez les uns et les autres au dialogue. Le président de l'Observatoire pour l'indépendance de la magistrature confie par ailleurs qu'après avoir rencontré plusieurs grandes figures de la scène politique, il ressort qu'il n'existe pas de contacts directs entre eux... La partie non gouvernementale a chargé l'Union générale des travailleurs tunisiens de la mission de parler avec la partie adverse. Or, justement, les contacts entre Ennahdha et l'Ugtt n'ont pas été concluants. «Une deuxième rencontre doit avoir lieu aujourd'hui et on espère cependant qu'elle permettra de créer une issue...», ajoutait hier M. Rahmouni, dans un entretien téléphonique. Mais il est certain que le refus d'un dialogue direct est un obstacle. Sur le fond, le désaccord n'a rien de particulièrement insurmontable. Il suffirait qu'Ennahdha fasse un premier pas sur la question du gouvernement. Car, pour ce qui est de la dissolution de l'Assemblée constituante, elle est «secondaire, même auprès de ceux qui en ont fait leur revendication». C'est autour de la question du gouvernement que se concentrent en effet les craintes : pour les uns, il s'agit de s'assurer qu'il ne faussera pas les conditions du jeu électoral, tandis que pour les autres, pour Ennahdha en particulier, il s'agit de s'assurer que la nouvelle formule ne signifie pas, d'abord que l'on sorte de la légalité, ensuite qu'on les mette à l'écart, qu'on les vire de tout rôle au sein de l'Etat... Or, souligne Ahmed Rahmouni, telle n'est pas l'intention des partisans de la dissolution. «Pas même celui de Hamma Hammami...», ajoute-t-il. Quel serait ce premier pas ? Pour notre interlocuteur, l'équipe ministérielle pourrait démissionner et se transformer en gouvernement de gestion des affaires courantes en attendant que l'on trouve un accord. Mais le blocage se poursuit parce qu'Ennahdha insiste sur la nécessité de ne pas poser de conditions aux négociations, tandis que la partie adverse insiste de son côté sur l'exigence de ne pas négocier tant que le gouvernement actuel demeure en place.... Le président de la République, apprend-on, resterait malgré tout optimiste et prêt à offrir ses services pour un dialogue. «Tout est sujet à négociations, mais sans exigences préalables : telle est sa position !», nous confie le magistrat.