L'observatoire tunisien pour l'indépendance de la magistrature n'a pas mis longtemps pour produire son premier rapport intitulé «Les nominations judiciaires : entre l'intervention directe du pouvoir exécutif et l'absence de normes objectives». Créé le 7 mars 2012, l'observatoire a soumis, hier, à l'attention des journalistes, un document volumineux de près de deux cents pages, accablant dans son ensemble pour le ministère de la Justice et plus précisément «le ministre Noureddine B'hiri qui vient de procéder, ces derniers jours, à plus de 100 nominations, sans consultation des magistrats et de leur association ou de leur syndicat en usant excessivement des décrets ou de simples notes de service pour désigner quiconque réponde aux critères fixés par le ministère, et ce, en l'absence du Conseil supérieur de la magistrature mis en veilleuse depuis la révolution du 14 janvier 2011 et dans l'attente de la mise en place de l'Instance provisoire pour la magistrature dont la création ne semble pas inscrite parmi les priorités du gouvernement actuel». Ahmed Rahmouni, ancien président de l'Association des magistrats tunisiens et président de l'observatoire tunisien de l'indépendance de la magistrature, est revenu, en présentant le rapport, sur les nominations judiciaires décidées durant la période allant du 24 décembre 2011, date de la formation du gouvernement en poste jusqu'au 30 avril 2012, date de la finalisation du présent rapport. Ainsi, il apparaît que «les nominations ont concerné à partir du 24 décembre 2011 toutes les catégories de la magistrature, juridique, administrative et militaire, tous les grades et toutes les fonctions susceptibles d'être décernés». Le rapport cite dans le détail la liste définitive des nominations en produisant le nom du magistrat en question, son ancienne situation et sa situation actuelle. D'après la liste, ils sont 99 magistrats à voir leur situation changer, suite aux désignations décidées par Noureddine B'hiri et annoncées «sans aucune forme de consultation ou de concertation avec les associations et organisations représentant les magistrats». A la question de savoir si M. le ministre de la Justice est habilité à opérer de tels changements, Ahmed Rahmouni est revenu sur les déclarations du ministre à la presse nationale selon lesquelles «le programme de réformes du ministère de la Justice a pour objectif de prendre des mesures d'urgence cherchant à assurer la non-intervention du pouvoir exécutif dans les affaires de la magistrature». Seulement, cette réponse produite par Noureddine B'hiri ajoutée à une autre déclaration selon laquelle, «seuls les despotes refusent que les concernés (les magistrats) participent à la prise de décisions», semble ne pas satisfaire le président de l'Observatoire tunisien de l'indépendance de la magistrature ni Mme Kalthoum Kannou, présidente de l'Association des magistrats, qui ne s'est pas prononcée sur ces désignations, se contentant de souligner «qu'il est dangereux que des nominations à des postes d'une aussi grande importance au sein du ministère de la Justice soient décidées en dehors de l'avis de l'Association des magistrats». L'AMT possède-t-elle la qualité de saisir la justice administrative et envisage-t-elle d'attaquer les décisions de Noureddine B'hiri et de demander l'annulation des nominations déjà annoncées ? Au bout d'un discours fort éloquent sur les attendus sur lesquels se base l'AMT pour dénoncer la propension du ministère à négliger l'association et à ne pas l'associer aux grandes décisions, Mme Kannou finira par souligner que «l'AMT préfère, pour le moment, concentrer son énergie et sa mobilisation pour mener une campagne de sensibilisation auprès de l'opinion publique quant à la nécessité absolue d'accélérer la mise en place de l'Instance provisoire indépendante de la magistrature», qu'elle considère comme étant la priorité pour le moment. Des propositions pour l'avenir Le rapport de l'Observatoire ne s'est pas limité à l'énumération des dépassements qui ont accompagné les dernières nominations de magistrats. Il a avancé, en effet, des propositions qui pourraient contribuer à la réforme de la magistrature et à instaurer les standards internationaux, condition sine qua non pour que notre magistrature soit performante et à la hauteur des objectifs de la révolution. Parmi ces propositions, l'on peut citer les plus importantes : – La nécessité de reconnaître le pouvoir judiciaire comme un pouvoir aux côtés des deux autres pouvoirs, le législatif et l'exécutif et de ne pas traiter les magistrats comme étant des fonctionnaires publics. – La nécessité d'instaurer un climat de bons rapports avec les représentants des magistrats en leur qualité de partenaires de la réforme judiciaire. – La nécessité pour les autorités publiques de s'abstenir de désigner des magistrats à pareille période, et notamment le ministre de la Justice, via les notes de service. – La nécessité d'accélérer la création de l'Instance provisoire qui aura la charge de gérer la magistrature et de remplacer le Conseil supérieur de la magistrature. – Accélérer la dissolution du Conseil supérieur du Tribunal administratif et du Conseil supérieur de la Cour des comptes et la création d'une instance provisoire chargée de la magistrature financière et d'une autre instance en charge de la justice administrative. – Diagnostiquer, le plus vite possible, la situation de la justice et des grandes institutions judiciaires à l'instar de la Cour de cassation, de l'Institut supérieur de la magistrature, du ministère public et des juges d'instruction. Il est à préciser que l'Observatoire tunisien de l'indépendance de la magistrature organise, aujourd'hui, samedi 5 mai, une manifestation scientifique au complexe culturel de Nabeul sur le thème : «La justice et l'opinion publique». La rencontre se tiendra avec la participation de magistrats, d'enseignants universitaires et d'avocats qui traiteront de plusieurs thèmes comme : «L'Observatoire tunisien de l'indépendance de la magistrature et le droit du citoyen à la justice», «Le magistrat et l'opinion publique : quelle approche» et «L'avocat et l'opinion publique : les exigences de la transition et les risques de la rue».