Un concert qui aura établi que Lotfi Bouchnaq trône, sans partage, sur la musique et sur le chant en Tunisie. L'orage qui a éclaté en début de soirée, dimanche dernier, et dont la pluie s'est même transformée en grêle, n'a pas empêché les fans de Bouchnaq de se déplacer à Carthage en bon nombre. Et s'ils n'ont pas rempli tout le théâtre romain, ils étaient bien entre 5.000 et 6.000 personnes. De quoi donner le sourire à l'artiste et à Mourad Sakli, le directeur du festival. Ce dernier ne pouvait espérer davantage, vu les conditions atmosphériques, la fin du mois — généralement difficile pour les Tunisiens —, l'approche de la rentrée scolaire et le sentiment de lassitude, si ce n'est de saturation, que tout le monde éprouve quant à ce qui se passe dans le pays. Nuage blanc En tout cas, ceux qui ont consenti le déplacement, dimanche dernier, n'ont rien regretté. Loin de là. Au faîte de son art et de sa forme, Lotfi Bouchnaq les a, en effet, transportés, comme sur un nuage blanc, vers un univers où les notes, ferventes ou apaisantes, coulaient de source. Une eau de roche extasiante qui garde éveillés l'âme et les sens. Un sammaï (prologue instrumental) de son propre cru, délectera le public et l'installera dans l'ambiance de ce qui allait suivre : une wassla (suite) avec mouwachahat et adwar, signés le même Bouchnaq, où ce dernier a étalé toute sa technique, toute son aisance et toute sa sensibilité de maître sans égal du chant classique. Justesse, rigueur, variations et ornementations en grave comme en aigu, une démonstration éclatante de ce que chanter veut dire. Cet artiste, dont la longévité de la réussite (35 ans) est en grande partie due à sa constance et à sa fidélité au classique, tout en étant dans la modernité et l'innovation, n'était pas sans nous rappeler le petit — et déjà — prometteur disciple de Ali Sriti (paix à son âme) à qui le même festival avait offert en 1979, l'aura et le prestige pour être le premier Tunisien à s'y produire seul. Sans répertoire propre, il attirait foule de mélomanes pour les émerveiller par les adwar, les joyaux du grand répertoire oriental et par les perles de Sid'Ali Riahi. Depuis, Bouchnaq a fait du chemin, beaucoup de chemin, s'imposant dans le monde arabe et même ailleurs, comme la valeur sûre de la chanson arabe, surtout après la disparition (ou la retraite) de ses incontournables icônes. Et c'est grâce à son labeur, à son intelligence, à sa proximité de son environnement, à sa sensibilité aux bons textes et aux bons vers qu'il a développé son talent de compositeur, donnant naissance à des tubes où il a autant privilégié la mélodie que l'engagement. «Ahna'l joud, ahna'l karam», les récentes «Al karassi» et «Ana mouwaten», à dimension politique sont un parfait équilibre avec les exquises «Tchhad alaya el matar», «Nassaya», «Il aîn il matchoufikchi», ou «Ritek ma naâref win». Il nous a chanté de tout avant-hier, alternant le romantique et le patriotique, recueillant méritoirement l'ovation après l'autre. Merci maître.