L'association Al Bawsala a organisé un débat avec des constituants à Tunis, afin de tenter de donner aux citoyens des réponses à leurs interrogations sur la situation politique Il s'agit de la 10e rencontre entre citoyens et députés organisée mercredi dernier par Al Bawsala, dans le cadre d'un projet lancé il y a un an. «Les sujets ne sont pas déterminés au préalable. Ce sont les citoyens qui posent les questions et aux députés d'y répondre, chose qui peut dérouter parfois les élus. Les discussions ne tournent pas seulement autour de la Constitution mais aussi autour de problèmes vécus au quotidien par les citoyens», explique Selim Kharrat, directeur exécutif de l'association. L'ANC et la sortie de crise sont les deux sujets qui ont dominé le débat cette fois-ci. Etaient présents à la rencontre : Zied Ladhari (Ennahda), Samir Ben Amor (CPR), Lobna Jeribi (Ettakattol), Mohamed Taher Ilahi (Mouvement du Tunisien pour la liberté et la dignité), Mehdi Ben Gharbia et Selim Ben Abdessalem (bloc démocratique). La Presse a sélectionné pour ses lecteurs un certain nombre de questions auxquelles un invité ou plus ont répondu. Pourquoi les députés qui appellent au retour de leurs collègues n'ont pas proposé une feuille de route pour sortir de la crise ? Samir Ben Amor : Une feuille de route a été proposée dès le 25 juillet, date de l'assassinat de Mohamed Brahmi. On a proposé deux dates : fin août pour l'achèvement de la rédaction de la Constitution, et le 17 décembre pour les élections. Maintenant, il est impossible de se conformer à ces deux dates et la période de transition va nécessairement se prolonger à cause de tout ce temps perdu. Zied Ladhari : On demande aux députés de reprendre leur mission avant de fixer des dates parce qu'en tant que responsables, on doit pouvoir s'entendre et discuter ensemble sans pour autant bloquer le fonctionnement d'une institution. Concernant les prochains rendez-vous électoraux, il faut d'abord que l'Isie (Instance supérieure indépendante pour les élections) soit mise en place. C'est elle qui est à même d'approuver les échéances pour les élections et de donner de la crédibilité aux dates annoncées. Quel est le problème du mouvement Ennahda avec la proposition de constituer un gouvernement de compétences ? Zied Ladhari : Il s'agit, là encore, d'une question de méthode. Tout est sujet à discussion, mais le fait que l'opposition veuille imposer ses conditions et bloque les travaux d'une institution pose problème. On a toujours été favorable à la participation d'autres partis dans le gouvernement, d'autant plus que dans une phase de transition, il ne devrait pas y avoir d'opposition. Cependant, si le gouvernement venait à changer, cela devrait se faire suite à des élections ou alors après une concertation au sein des institutions. Mohamed Taher Ilahi : Le contexte actuel impose en tout cas à ce qu'on aboutisse à une solution. Il faut entrer dans le débat sans conditions préalables. Il reste beaucoup à faire à l'ANC. Que peut répondre le gouvernement aux milliers de gens qui ne sont pas contents ? Zied Ladhari : Les citoyens ont, évidemment, le droit d'exprimer leur mécontentement. Mais on veut qu'il y ait une tradition ou une culture démocratique en Tunisie, que les gouvernements changent avec les élections ou suite à une décision prise au sein des institutions. Si, dans une crise, il n'y avait pas de dialogue, là il y a un problème. La situation actuelle montre que non seulement il y a un dialogue, mais que cela mène, en plus, à des résultats. Quelles sont les concessions que votre propre parti est prêt à faire ? Zied Ladhari : L'ANC est une ligne rouge parce qu'elle cristallise la volonté du peuple. Tout le reste peut être discuté. Lobna Jeribi : Plusieurs députés sont d'accord sur le fait qu'il y ait une crise de confiance. Au sein d'Ettakatol, on pense que la situation requiert la mise en place d'un gouvernement d'indépendants. Quant au gel des travaux de l'ANC, c'est surtout pour pousser toutes les parties au dialogue. Je ne suis pas d'accord avec ceux qui présentent une image noire de l'ANC. Concernant les libertés individuelles par exemple, plusieurs restrictions ont été levées grâce notamment aux travaux de la Commission des compromis. Nous étions à 24 heures d'annoncer des avancées importantes avant le blocage des travaux de l'ANC, mais l'échec de l'assemblée a visiblement été décidé à l'avance. Quoiqu'il en soit, il faut qu'il y ait un large consensus autour du prochain gouvernement. Pourquoi l'opposition conditionne son retour à l'ANC avec le changement de gouvernement ? Selim Ben Abdessalem : On vit une crise sans précédent. Rien n'a changé après l'assassinat de Chokri Belaïd. Quand Mohamed Brahmi a été tué, on s'est dit que plus rien ne devait se passer comme avant. Le gouvernement a atteint ses limites. Il y a une crise de confiance. Seul un gouvernement de compétences nationales peut relever les défis économiques, sécuritaires etc. Il faut qu'il y ait également des mécanismes de suivi, pour surveiller notamment les nominations dans les institutions de l'Etat. Quant à l'ANC, sur le rythme auquel les travaux ont avancé jusque-là, on n'arrivera jamais à finir quoique ce soit le 23 octobre. Il faut qu'on lui enlève d'entre ses mains le pouvoir décisionnel, et qu'on mette en place un comité d'experts ainsi qu'un comité politique. Mehdi Ben Gharbia : Au sein du bloc démocratique on tient à ce que l'ANC poursuive ses travaux. Quant au gouvernement, au regard de la situation actuelle, il doit démissionner. Cela se fait dans les pays démocratiques après une crise. En revanche, il faut que tous se mettent d'accord autour des personnalités qui vont composer le prochain gouvernement. Mohamed Taher Ilehi : Dès le départ il y a eu une division au sein de l'ANC entre ceux qui sont pour et ceux qui sont contre le gouvernement. Maintenant il y a une grande crise de confiance de l'opposition vis-à-vis du gouvernement. Comment ça se fait que Ghannouchi puisse décider du retrait ou du report de la loi sur l'immunisation de la révolution alors qu'il n'est ni député ni membre du gouvernement ? Zied Ladhari : Quand un homme politique donne son point de vue, cela ne veut pas dire que les institutions vont le suivre. Elles ont le pouvoir, il me semble, de décider par elles-mêmes. Quel est l'avis du CPR sur la rencontre de BCE avec Ghannouchi à Paris ? Samir Ben Amor : En tant qu'homme politique, il est normal de discuter et de dialoguer avec ses adversaires, malgré toutes les divergences. Je n'ai pas à juger cette rencontre.