Par Nejib OUERGHI L'impasse politique, tant redoutée, a fini par se produire, sapant les espoirs de tout un peuple et les intérêts vitaux d'un pays pris, deux mois durant, dans le piège des calculs et des manœuvres politiciennes. A défaut d'alternatives convaincantes, claires et rassurantes au sujet de questions lancinantes, on a eu droit à des réponses évasives, imprécises et ambiguës qui n'ont fait qu'accroître le doute qui ne cesse de nous tarauder et enfoncer le pays dans une crise aux conséquences imprévisibles. Les atermoiements, les annonces contradictoires et les manœuvres dilatoires qui ont entouré depuis le lancement de l'initiative du Quartet attestent amplement de la volonté de certains acteurs politiques à vouloir jouer à fond la carte du statu quo, à esquiver les problèmes de fond et à chercher à gagner du temps. Au moment où le pays attendait fébrilement des mesures urgentes et une mobilisation de toutes les forces pour restaurer la confiance, donner un signal fort et faire face au spectre du terrorisme notamment, les divisions et les dissensions ont resurgi. Pour ces raisons objectives, on était persuadé que jusqu'à la dernière minute, le consensus sur une feuille de route paraît improbable et la réunion de tous les protagonistes autour d'une même table impossible. Jusqu'à la dernière minute, on décelait mal les véritables intentions des uns et des autres et leur disposition à placer l'intérêt de la Tunisie au-dessus de toute considération partisane. Jusqu'à la dernière minute, on ne savait pas où va le pays tellement les positions sont confuses et inconciliables au sujet d'une feuille de route objet d'âpres intrigues et calculs. La conférence de presse du Quartet, tenue hier, a été le dernier acte d'un feuilleton aux rebondissements rocambolesques et éprouvant pour les nerfs. En imputant clairement la responsabilité de l'échec du processus, initié il y a environ deux mois, pour sauver la Tunisie du vide politique et du chaos économique et social, à la Troïka au pouvoir, le Quartet a tenu le peuple tunisien pour témoin de tout le temps perdu pour rien, des espoirs déçus des Tunisiens et de l'aggravation de la situation dans le pays. En dépit de ce constat amer, la porte est restée entrouverte pour la Troïka pour assumer sa responsabilité historique envers le pays. Une responsabilité qui l'habilite à se défaire de toute hésitation et à s'engager dans un véritable dialogue national sur la base d'engagements clairs. Le temps est à l'action concrète qui permet au pays de retrouver le chemin qu'il a perdu, non aux promesses vagues ou aux déclarations trompeuses. Sur un autre plan, l'audition jeudi des ministres de l'Intérieur et de la Justice par une ANC (Assemblée nationale constituante) boudée, depuis maintenant deux mois, par au moins le tiers de ses membres, nous a laissés sur notre faim. La plupart des questions chaudes qui interpellent, en l'occurrence les circonstances de l'assassinat du député Mohamed Brahmi, le peu de cas accordé à l'alerte reçue d'un service de renseignements étranger à ce sujet et les menaces sur les libertés qui se sont matérialisées par la comparution de journalistes devant la justice, voire leur incarcération, ont été diluées dans un débat monocorde et monotone et des réponses vagues qui ont occulté l'essentiel. Au bout d'une longue journée de débat, le mystère du document fuité n'a pas été élucidé, encore moins les raisons qui sont derrière le retour au musellement des médias dont l'indépendance et l'objectivité auraient dû constituer un motif de fierté pour une démocratie en construction, non une source de gène et d'exaspération. Enfin, le dossier économique fait également l'objet de déclarations contradictoires et de jugements parfois hâtifs, même si tout le monde est conscient des difficultés que connaît le système productif, amplifiées il est vrai par la crise politique qui n'a pas fini de désorienter et d'inquiéter les opérateurs tunisiens et étrangers. Ce dossier particulier fait l'objet de divergences étonnantes au niveau de l'appréciation des difficultés, une certaine hésitation au niveau du diagnostic et une ambivalence au niveau de l'analyse. L'interview accordée, cette semaine à Londres, par le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie au journal « Acharq Al Awsat » montre bien cette confusion qui règne au sujet d'un dossier où la principale référence prise en considération devrait être tout simplement une lecture objective et sereine des indicateurs. Alors que M. Ayari tire la sonnette d'alarme sur les risques d'effondrement de l'économie, appelant à engager des mesures d'austérité urgentes, mettant en garde la classe politique contre la grave détérioration de la situation économique et financière du pays, d'autres voient le verre encore à moitié plein et qu'il est encore tôt de prétendre qu'il y a péril en la demeure. Quand les fondamentaux de l'économie sont gravement mis à mal (inflation galopante, un déficit budgétaire et de la balance courante jamais atteint), mieux vaut tenir le langage de la vérité, chercher les causes profondes de cette descente aux enfers et identifier les pistes pour sortir de l'impasse. Aujourd'hui, à quelques voix près, tout le monde est d'accord pour dire que la première marche menant au sauvetage de l'économie passe par la résolution de la crise politique. Ce diagnostic demande simplement une clairvoyance politique et un engagement sincère pour mettre un terme à un jeu dangereux dont le pays est en train de payer le prix fort.