Un premier bilan mitigé pour un ministre de l'Intérieur évoluant dans des champs minés. Réussira-t-il «l'exploit» de résister jusqu'aux prochaines élections ? «On ne peut tout faire en six mois», ne cesse de marteler «notre» ministre l'Intérieur, à chacune de ses sorties médiatiques. Un moyen comme tant d'autres pour défendre son bilan dans une conjoncture politique où les éternels insatisfaits, les mauvaises surprises et les... peaux de banane échappent à tout recensement ! Comment furent les sept mois de Lotfi Ben Jeddou à la tête de cette boîte ? A-t-il réussi ou échoué ? Tiendra-t-il le coup jusqu'au bout, ou finira-t-il par rendre le tablier en cours de route ? Débuts difficiles Une première certitude : M. Ben Jeddou a mal entamé son mandat, en mettant sans doute plus de temps qu'il ne fallait pour se familiariser avec son nouvel environnement. Juriste de son état, étranger à ce ministère dans lequel il a atterri précipitamment, il s'est vite aperçu qu'on lui a offert un... cadeau empoisonné! C'est d'autant plus vrai qu'il lui a fallu trois bons mois pour transpercer les premiers mystères de l'appareil sécuritaire. Ceux qui ont travaillé sous sa férule s'accordent à dire qu'il s'est contenté, au début de son bail, d'écouter, de constater, de feuilleter les dossiers, sans pour autant «oser» prendre de grandes décisions. C'est que son inexpérience sécuritaire, sa prudence un peu excessive et le climat syndical tendu qui enveloppe son département l'ont voué à l'hésitation. D'où une accumulation de revers spectaculaires (assassinat de Mohamed Brahmi, tuerie de Jebel Chaâmbi, lettre de la CIA, révélations sensationnelles de l'Union des syndicats des forces de sécurité intérieure...). Toutes ces déroutes sont évidemment à mettre au passif de l'homme fort de la citadelle de l'avenue Bourguiba. Questions inévitables : ce dernier était-il alors capable de faire mieux ? Pourquoi a-t-il accusé tout ce retard pour prendre réellement les commandes ? Etait-il mal conseillé ou mal entouré, ou les deux à la fois ? L'avenir nous le dira, assurément. Début d'embellie Or, M. Ben Jeddou est à créditer, ces deux derniers mois, d'un parcours meilleur, pour avoir sans doute achevé d'asseoir son autorité, d'oublier ses premiers balbutiements et même de vaincre sa timidité du baptême du feu. Aujourd'hui, affirme-t-on dans les coulisses du ministère, il a gagné en maturité, voire en agressivité, en demandant des comptes, en exigeant un suivi de tous les instants à chaque affaire, en s'intéressant à tous les dossiers sécuritaires jusqu'aux moindres détails. Quitte à pousser les séances de travail avec ses collaborateurs jusqu'à une heure tardive de la nuit, à multiplier les visites inopinées sur le terrain et à...évincer tel cadre, tel fonctionnaire. C'est alors, grâce à cette mainmise naissante et quoique tardive, qu'un début d'embellie s'est opéré, à partir de l'été dernier, sous la forme d'une impressionnante série de coups de filet des plus retentissants, avec, notamment, l'arrestation de plus d'une centaine de jihadistes, la saisie d'importantes quantités d'armes et de munitions, le démantèlement de plusieurs réseaux d'intégristes, de contrebandiers et d'envoi de combattants tunisiens en Syrie. A son tableau de chasse, on compte aussi l'avortement d'attentats intégristes qui allaient faire mouche et une belle et prometteuse percée sur la voie de la démystification des assassinats de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. Le tout doublé d'une certaine «audace» lui ayant permis enfin de se débarrasser de ses discours cléments et parfois même complaisants. A telle enseigne qu'il a annoncé récemment, avec un courage qui n'était pas jusqu'ici le sien, que son ministère est infiltré aussi bien par la Troïka au pouvoir que par l'opposition. Encore du pain sur la planche Dans un département aussi «chaud» que celui de l'Intérieur qui porte aujourd'hui — le terrorisme rampant oblige — les espoirs de tout un peuple, pas question de laisser le verre à moitié vide. Et M. Ben Jeddou est le premier à ne pas dire le contraire. Lui qui n'a de cesse de dire, ces jours-ci, que le plus dur reste à faire, non seulement en matière de lutte contre la nébuleuse d'Al Qaïda dont les menaces sérieuses persistent (jihadistes et armes encore en circulation), mais aussi dans le domaine de la restructuration et de l'assainissement d'un ministère fortement affaibli par des querelles internes et des manœuvres déstabilisatrices. Maintenant, si nous comprenons les soucis de «l'enfant de Kasserine» et sa volonté de mieux faire, nous restons persuadés que, techniquement, il lui faudrait... plusieurs autres mois pour relever tous ses défis audacieux, à moins qu'il ne démissionne ou qu'il... ne déménage soudainement, puisqu'on parle déjà de lui comme un candidat potentiel à la succession de Ali Laârayedh à la tête du gouvernement.