Partie d'une protestation sociale — pour salaires impayés — déclenchée le 17 septembre, dans la foulée de la grève nationale des journalistes, l'affaire «Radio Kalima» a brusquement fait la Une de tous les médias. Tout au long de cette profusion médiatique, nous n'avons relevé que quelques rarissimes inquiétudes pour la survie d'une expérience singulière et de plus rares encore soucis d'équilibre professionnel pour donner la parole à ses fondateurs traités de «suceurs de sang/affairistes qui maltraitent leurs employés sous couvert de droit-de-l'hommisme». Dans un contexte général frappé par le marasme économique et l'incertitude politique, des entreprises en difficulté avec salaires impayés, il en existe à la pelle; on n'a pas vu les médias traîner dans la boue leurs dirigeants pour cause de cessation de paiement. Et pour prendre un exemple dans le secteur, lorsque Attounssia TV était en difficulté quelques mois après la révolution et que ses salariés n'étaient pas payés durant plusieurs mois, on n'a pas vu une campagne de dénigrement contre son patron, pas plus qu'une position hostile du Snjt. Mieux encore, les salariés d'Attounisia TV se sont solidarisés de manière exemplaire avec leur direction et ont attendu patiemment que l'entreprise se redresse et grâce à eux, elle a réussi à se redresser après la traversée du désert, surpassant tous ses concurrents dans l'audimat. Dans le cas de Kalima, le complexe médiatico-sécuritaire en a fait le procès — renouvelé — des fondateurs de Kalima pour remettre en cause sa ligne éditoriale, voire sa légitimité ; certains ont allègrement conclu à la nécessaire éviction de ses dirigeants et suggéré leur bannissement de l'espace médiatique. Derrière le déluge de calomnies qui nous a ciblés, se pointent les outrances familières d'une époque pas si révolue, révélant les vieux protagonistes demeurés très influents dans la sphère médiatico-financière. Nous ne pouvons que nous féliciter de ce soudain engouement manifesté par les nombreux intervenants sur le cas «Radio Kalima» pour imposer la transparence sur le financement des médias, de cet intérêt à assurer des conditions socioprofessionnelles dignes aux employés ; nous sommes rassurés par cette attention à faire toute la lumière sur la probité des dirigeants et la volonté de vérifier la sincérité des objectifs moraux qu'ils affichent. Nous relevons ce défi, et encourageons ces gardiens vigilants des vertus républicaines à dépasser le colportage de ragots qui a caractérisé leur traitement du cas «Radio Kalima» pour soumettre tous les médias à un examen minutieux et objectif. Il serait aussi grand temps d'exiger de tous les intervenants dans l'espace public de publier un état comparatif de leur patrimoine, entre l'avant et l'après-14 janvier 2011. Coupables de s'accrocher ou de liquider ? L'accusation, au procès Kalima, n'a pas eu peur des contradictions flagrantes : — Coupables de vouloir assurer la survie de ce média, quitte à «affamer» ses employés, on se voit dénoncés, quelques phrases plus loin, de vouloir le fermer « en douce » et de faire fuir «nos capitaux à l'étranger»! — Coupables de maltraitance des employés et de violation de leurs droits, nous sommes également accusés de gestion salariale laxiste (trop de salariés et trop bien payés) ! — Coupables d'avoir fermé l'accès des locaux de la radio, mais ils s'y trouvent tous comme par miracle et y convoquent une conférence de presse sur une grève illégale dont l'administration n'a été informée à aucun moment. — Coupables d'avoir confisqué le matériel de travail, mais ce même matériel se trouve comme par enchantement entre les mains des journalistes qui l'utilisent pour faire la promotion de leur sit-in sur leur page facebook. — Coupables d'avoir maintenu les employés dans l'ignorance de la situation financière de l'entreprise, mais le reproche se précise et nous devenons coupables de n'avoir pas fourni de réponse précise sur la date exacte de sortie de crise. — Coupables d'avoir «fermé la porte à toute négociation» avec les employés, nous sommes en même temps accusés de chercher à leur parler directement, sans les «médiateurs» attitrés du Snjt. Mais se soucie-t-on seulement de connaître les faits? Le mardi 6 août 2013, veille de l'Aïd, la direction de Kalima tient une réunion avec les employés pour les informer du refus de la banque de continuer à nous suivre et en conséquence de son incapacité à verser les salaires du mois de juillet. L'état de cessation de paiement a été exposé en précisant certaines données comme le montant du découvert bancaire, l'absence de revenus publicitaires, une donnée connue de tous depuis le lancement de la radio sur FM. Vers midi, la même journée, l'actionnaire principal propose l'intégration d'un nouvel associé prêt à investir un million de dinars — de quoi doubler le capital social — en échange d'un droit de regard sur le contenu, «petite égratignure» à la sacro-sainte étanchéité entre financement et élaboration éditoriale, clairement prohibée dans la charte de Kalima. Un rappel de la situation précaire des employés, en cette veille de l'Aïd, le laissera de marbre. Un délai de concertation fut demandé, vu le bouleversement que cette proposition entraînait pour la radio. Cet élément fut également communiqué à l'équipe avec les réserves de la direction. Le dialogue n'a jamais été interrompu Le choc n'a pas entamé l'attachement de la plupart des employés à leur entreprise à qui le choix de rester chez eux ou de venir travailler a été donné; tous les présents ont préféré alors venir travailler sans salaires en attendant de jours meilleurs, sachant que le directeur s'est engagée à honorer ses dettes envers eux dès qu'une solution aura été trouvée et a fourni des avances sur son compte personnel en attendant. On avait également discuté avec eux notre choix de repositionner la radio dans l'info en continu, ainsi que la transition nécessaire. Personne n'a envisagé la fin de l'aventure, on s'accrochait à la moindre lueur d'espoir, tout en épuisant les moindres ressources de survie. Dans les semaines qui suivirent, des discussions avec plusieurs investisseurs potentiels se déroulèrent, y compris celui proposé par l'actionnaire principal dont les exigences d'écarter les fondateurs de la radio furent alors acceptées à contrecœur. Le souci de sauver les emplois et une confiance aveugle dans les capacités de l'équipe à préserver l'âme de la radio prévalurent. Les employés ont été informés quotidiennement du contenu de ces discussions. Ces concessions demeurèrent vaines, les investisseurs pressentis prirent prétexte de l'imposante masse salariale et le niveau élevé des salaires par rapport à la concurrence pour se désister le samedi 14 septembre après-midi. Ce même samedi après-midi, une réunion avec les responsables de départements a été tenue où nous avions décidé la mise de l'antenne sur mode playlist musicale jusqu'au mardi 18, jour de la convocation d'une assemblée générale des actionnaires qui devrait décider de la conduite à tenir face à l'aggravation de la situation. Plusieurs options ont été envisagées avec eux lors de cette réunion, y compris celle de transférer les actions du directeur à titre gracieux à une société de rédacteurs dont ils seraient les actionnaires (c'est un vrai affairiste ce directeur!) afin qu'ils soient impliqués dans l'actionnariat et ainsi négocier directement avec le principal actionnaire comme partenaires au projet. C'est ce qu'ils firent, mais contre les fondateurs ! Rôle ambigu du Snjt Le 17 septembre, jour de la grève générale du secteur des médias à laquelle Radio Kalima a décidé de participer et que la directrice de la rédaction a préparée avec les journalistes, on apprend par un communiqué qu'un sit-in des employés était dirigé contre les fondateurs de la radio. Rien dans les relations continues avec le personnel de la radio ne laissait envisager ce recours à la grève/sit-in qui signifie une rupture de communication. Plus tard, nous apprendrons par un statut publié par la présidente du Snjt que trois employés ont préparé avec elle cette grève une semaine avant son déclenchement et sans que les autres employés en soient avisés. L'accusation de refus de négociation nous laisse sans voix lorsqu'on sait que les représentants syndicaux se sont interposés pour empêcher toute discussion directe avec le personnel ! Le directeur avait convoqué dès le 14 une réunion générale de tout le personnel de la radio, y compris des correspondants régionaux pour le mercredi 18 septembre matin, pour prendre une décision collective à la lumière de la décision des actionnaires, qui avaient opté pour la solution du redressement judiciaire. Quelle ne fut sa surprise de voir que la présidente du Snjt s'y était invitée sans prévenir et s'est autorisée de se saisir de la question de la licence de Kalima !!! Il l'avait poliment invitée à patienter dans son bureau, le temps de finir la réunion interne pour examiner avec elle tous les aspects de la crise, sans restriction ; cela a été présenté une heure plus tard dans les médias comme un déni d'accès aux locaux ! Kalima intéresse tant qu'il s'agit de taper dessus Dans la foulée de la conférence de presse tenue dans les locaux de Kalima la matinée du 18 par les sit-inneurs (qui avaient affirmé n'avoir pas pu y accéder !), ces derniers déposent une plainte auprès de l'inspection du travail. Lors d'une réunion de conciliation convoquée par l'inspection et tenue le 27, le directeur s'était engagé à payer les salaires de juillet et août avant le 5 octobre. Le PV de la réunion de conciliation sera publié par l'agence TAP, qui s'abstiendra systématiquement, tout comme la presse nationale, de publier tout droit de réponse des fondateurs calomniés. Le 4 octobre au matin, l'inspection du travail a reçu la copie des virements effectués sur les comptes des salariés pour les deux mois en question, tirés sur le compte personnel du directeur (ayant contracté un prêt personnel pour honorer ses engagements, l'actionnaire principal s'étant abstenu de mettre la main à la poche). C'est cette même matinée qu'il fera l'objet d'une tentative de séquestration par deux des employés ; les médias rapporteront que c'est lui qui a tenté de les écraser, malgré l'évidence des faits montrés sur une vidéo qu'ils ont supposé plaider en leur faveur ! Devant la police auprès de laquelle le directeur a porté plainte, ils ont revendiqué leur acte en escomptant qu'il n'allait pas les payer et prétendu que c'est le syndicat qui les avait conseillé ! La question de la confiscation de la licence, ainsi que le changement de la ligne éditoriale reviendront comme une litanie au cœur de la déferlante médiatique. Alors que des larmes de crocodile coulaient sur le sort des employés sans salaire depuis deux mois, c'est la mise à mort d'un média coupable de non-alignement qu'une collusion d'intérêts planifie et la pérennité des emplois à Radio Kalima qu'on joue.