Accord général pour qu'il n'y ait ni vote secret ni vote à main levée Motus et bouche cousue. C'est le mot d'ordre qui semble avoir été donné hier aux chefs de partis politiques qui se sont rencontrés au ministère des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle. Présidents ou secrétaires généraux ont commencé à affluer au siège du ministère autour de quinze heures trente, la mine grave ou souriante, selon les tempéraments. Mais aucun mot n'a filtré de ce mur de silence, à quelques rares exceptions. C'est dans le cadre du processus gouvernemental que cette décisive rencontre s'insère. Son unique ordre du jour est la présentation du rapport autour des postulants en lice pour le poste — vacant dans quelques jours — de chef du gouvernement. L'espoir est mince d'accorder les violons des 21 partis politiques impliqués dans le Dialogue national, et signataires de la feuille de route. Pour autant, la volonté de trouver un point d'intersection était perceptible. « Nous allons essayer de resserrer la liste, déclare à La Presse Ahmed Brahim, président du parti Al Massar. Une dizaine de noms circulent, c'est beaucoup. Mais si je livrais le nom de notre candidat, il tomberait d'office», dit-il, riant presque. En plus des journalistes, quelques blessés de la révolution et leurs familles ont choisi opportunément ce rendez-vous pour faire un bref sit-in dans le hall du ministère et interpeller les hommes politiques qui passaient d'un pas furtif. Hassine Abassi, secrétaire général de la centrale syndicale et membre du Quartet, parrain du dialogue national, s'est arrêté, lui, un moment pour les écouter sous l'œil des caméras. Ils en avaient gros sur le cœur. Après quelques appels et de brèves scènes bruyantes, les blessés, certains sur des chaises roulantes, et leurs parents sont partis en promettant de revenir. Un consensus plutôt qu'un vote à main levée C'est Hamma Hammami qui débarque ensuite. Sur notre insitance, le président du Parti des travailleurs précise que le plus important pour l'heure n'est pas de tomber d'accord sur les noms, mais plutôt sur les critères. «Un chef de gouvernement doit se prévaloir d'une certaine expérience, de compétences. Il se doit d'être indépendant, et il doit porter un message au peuple tunisien», a encore précisé le leader du Front populaire, en ajoutant que l'heure est à l'écoute. Moins prolixe, Taïeb Baccouche prononce à peine quelques mots : «Nous avons un candidat, finit-il par dire presque forcé, à la limite de la mauvaise humeur, mais c'est indécent de donner des noms, ça ne se fait pas moralement», a professé le secrétaire général de Nida Tounès. Zied Lakhdhar, plus décontracté, semble être l'un des rares à avoir livré les noms des candidats de son parti : «Il s'agit de deux avocats, Mokhthar Trifi et Chaouki Tabib. Et comme l'a déclaré également Mongi Rahoui, nous pouvons appuyer la candidature de Abdelkarim Zbidi, s'il accepte », a encore nuancé le secrétaire général du parti de gauche Al Watad. De but en blanc et avec un rire espiègle, Béji Caid Essebsi déclare à La Presse : «Comme vous le voyez, la sécurité est établie». Répondant à notre question, cette fois-ci : «Moi je n'ai pas de candidats». Comment allez vous procéder, rapprocher les visions ? Avons-nous encore insisté. C'est notre politique, répond-il du tac au tac. «Donc le choix se fera par consensus J'espère», lança-t-il. Trop entouré, il était difficile d'arracher des mots de plus au président de Nida Tounès. Il est presque sûr que le choix du futur chef de gouvernement se fera par consensus et non par vote à main levée. Tous les politiques questionnés l'ont admis et souhaité. Maintenant, et pour y arriver, il faudra faire un choix qui réponde aux attentes des Tunisiens dans leur majorité. En plus de la compétence, le chef de gouvernement se doit de pouvoir physiquement et intellectuellement assumer les hautes charges associées à la fonction ainsi qu'aux épreuves. La période à venir ne sera pas de tout repos. Et dans la mesure du possible, disent les uns et les autres, il faudra un candidat véritablement indépendant et non pas seulement de façade. Ainsi, le pays est en train d'entamer une nouvelle étape, celle du consensus. C'est le consensus qui a permis de conduire le pays au cours de la phase agitée postrévolutionnaire. Il a bien permis à la Tunisie de tenir malgré toutes les menaces qui pesaient alors. Il ne fallait pas en sortir. L'expérience l'a montré : la légitimé consensuelle est au-dessus de tout. Elle fait paraître bien petites les querelles et les parties se voulant hors consensus.