Un nouveau recueil de poèmes de Hédi Kaddour vient d'être publié par l'Université de Yale aux Etats-Unis sous le titre de Treason (Trahison). Il s'agit d'une élégante édition bilingue, française-anglaise, dont la partie anglaise est due à la traductrice et célèbre poétesse américaine, Marilyn Hacker. Dans une préface au livre, Hacker raconte son expérience avec Kaddour et sa découverte de ses écrits. Pour elle, Kaddour est l'exemple de l'écrivain-flâneur qui, à l'instar de Baudelaire, Benjamin, Aragon et Réda, s'inspire des ruelles de la ville et des simples gestuelles des passants pour les traduire en expression poétique. La poétesse américaine trouve les poèmes de Kaddour pleins de sensualité, d'érudition et de sagesse à la fois. Ils proviennent surtout de «l'observation des situations à la fois ordinaires et emblématiques, mais aussi de la vie contemporaine, de l'obstination humaine, de l'invention humaine, de la cruauté humaine, et de la façon dont le passé invisiblement infléchit et sanctionne le présent» (Page XIV). L'ouvrage, qui est divisé en trois grandes sections – Loin de Byzance, Promenade en ville, et Variations – s'ouvre avec la méditation suivante: Le troupeau Portes ouvertes à l'espacement De la colline où se déploient La poudre du matin, la métaphore De beige et bleu, les tintements Comme réponse au grand cortège Des nuages à cul plat : la canne, Un groupe et son berger s'en vont Au pas qui mène hors de portée Vers un temps qui se gagne, et jusque Dans l'œil des lièvres la vérité Vient guetter alentour. Approche, Rien n'empêche, on en serait jaloux, On oublierait l'idée qu'un mouton Meurt rarement de vieillesse. Avec Treason, Marilyn Hacker a pu présenter à un lectorat anglophone l'œuvre d'un poète francophone qui était perpétuellement exposé à différentes cultures, langues et traditions littéraires. En effet, Kaddour naquit dans la ville tunisienne de Sfax, vécut en France dès son jeune âge, enseigna au Maroc pendant plus d'une décennie et reçut une formation dans plusieurs langues, y compris les langues allemande, anglaise et arabe. Cela pourrait-il expliquer le fait que Kaddour profite souvent de chaque occasion pour parler de son humanisme universaliste. «Les racines sont pour les arbres», affirme-t-il dans un entretien accordé à notre collègue Aymen Hacen, qui s'enquerrait de ses origines. Cet universalisme représente d'habitude une des valeurs les plus chères aux poètes et aux créateurs en général, mais il ne peut en aucune façon servir de prétexte au rejet d'une partie indélébile de leur passé et de leur parenté. L'humanisme et l'universalisme sont fondés sur l'acceptation des différents patrimoines humains et non pas sur le rejet ou l'omission des contributions qu'on juge à tort comme «inférieures». Evoquant un phénomène familier et une appellation familière dans la culture tunisienne, le poème suivant trahit le côté tunisien du poète qui est souvent passé sous silence : Noces du chacal Quand le ciel restait trop longtemps Bleu intense, il arrivait que les gens Se vêtissent de gris et de terne. Comme en appel. Parfois même, Un peu de pluie pouvait tomber. Alors – entre la terre rousse des collines, Le plomb volatile du crachin Et les premiers brins de l'orge – Il y avait comme un éclair du soleil Et l'arc-en-ciel surgissait. Cela s'appelait les noces du chacal.