Par Hamma HANACHI A peine a-t-il été publié, exposé dans les vitrines des libraires que l'ouvrage agitait déjà les rédactions des journaux, des radios et des télévisions, sans compter les versions électroniques. Tambours et trompettes, les spécialistes de la religion et autres journalistes se sont attachés à lire, décrypter et apprécier Histoire des relations entre juifs et musulmans des origines à nos jours, corédigée et codirigée par Abdelwahab Meddeb, directeur de la revue Dédale, enseignant à Paris X, poète, écrivain, islamologue et animateur de Cultures d'islam à France Culture, il a publié de nombreux ouvrages dont La maladie de l'islam, Seuil (2002), Contre-prêche. Seuil (2006), et Benjamin Stora, écrivain, historien, professeur à l'université Paris XIII, spécialiste de l'histoire du Maghreb contemporain, de la décolonisation, il a notamment publié Histoire de l'Algérie du XIXe au XXe siècle La Découverte (2012), les trois exils, juifs d'Algérie, Stock(2006), Voyage en postcolonie Stock(2012). Une encyclopédie historique, 1.200 pages, 5 ans de travail, 120 auteurs de différentes disciplines ont collaboré à la rédaction de cette œuvre richement illustrée, publiée chez Albin Michel 2013 et qualifiée de «magistrale» selon les observateurs et les critiques. L'ouvrage a remporté un tel succès qu'il a été épuisé en peu de temps, il est en réédition, et déjà traduit en anglais à Princetown. Lundi 28. Sur France culture (La grande table), Caroline Broué interroge les deux écrivains et estime que cet ouvrage vient combler une lacune dans l'histoire des relations complexes entre les juifs et les musulmans. Pour le monde juif, il y a eu beaucoup d'études sur l'histoire des juifs. Pour le monde musulman, il y a eu l'immense entreprise encyclopédique du penseur islamologue, Mohamed Arkoun, mais manifestement, on constate une absence totale d'études, d'ouvrages sur les relations entre les deux entités. Meddeb. «Sur l'histoire de cette relation, il y a eu oubli d'un passé commun, ou plutôt anamnèse, j'emploie exprès ce mot de la psychanalyse, parce qu'il y a maladie, ce qui nécessite cure, nous avons montré la partie dense, intense, créative de cette relation, mais nous avons aussi déconstruit le mythe de l'âge d'or, évoqué les massacres dont celui du pogrom de Grenade en 1066. Donc notre travail vient effectivement combler ce manque». Et depuis quand ces relations se sont détériorées ? Benjamin Stora : «Depuis une époque récente. Les deux populations ont vécu 13 siècles d'histoire commune, dans le même espace, dans le même univers, pratiquant la même langue, partageant la même nourriture». Dans l'espace musulman, dans la cité, les juifs comme tout le monde le sait avaient le statut de «Dhimi» de «protégé» autrement dit de seconde zone. Au XIXe siècle, avec la colonisation, ce statut devient intolérable dans la modernité, il y a eu donc mutation. Pour la première fois, la «Dhimitude» a été abolie par le sultan ottoman en 1856, il voulait par cet acte prendre le train de la modernité, mais la vraie rupture s'est effectuée avec le Décret Crémieux en 1870, qui accorde la pleine citoyenneté française aux 35 mille juifs d'Algérie, répertoriés comme «indigènes» à l'instar des musulmans. C'est une mutation, la première séparation, d'autres ruptures suivirent ensuite, la guerre d'Algérie, la Guerre de Six jours, etc. Signe évident que le sujet sommeillait depuis longtemps chez les penseurs, le voici sorti des méandres, apparemment sans préjugés, nourris par des spécialistes reconnus. Conclusion. Hasard, complément à l'ouvrage, regain d'intérêt pour le sujet ? La chaîne ARTE programme un documentaire de haute qualité «Juifs et Musulmans, si loin, si proches», signé Karim Miské. Diffusée en 4 volets de 52' chacun, le mardi 22 et le mardi 29, la série évoque les grandes parties historiques depuis les origines de l'islam à nos jours, Quatorze siècle d'histoire commune, au cours desquels les deux religions ont cohabité, partagé le même territoire, la même culture, la même langue et les mêmes coutumes. Cohabitation pacifique, heurts, pogroms, assassinats, ruptures, tout y est montré et de belle manière, illustrés de dessins animés de Jean-Jacques Prunès. Des documents filmés, des photos, des témoignages, des archives et plus de 200 experts, universitaires, impliqués d'une façon ou d'une autre (filiation, parenté, etc) racontent, témoignent, analysent les rapports entre les deux communautés. La deuxième soirée (mardi 29) évoque le concept d'Etat-nation, la colonisation française et anglaise, la naissance des idéologies, sionisme et nationalisme arabe, la résurgence de la question palestinienne, les tentatives et les échecs de la paix, l'origine de l'islamisme et le terrorisme, et...la cassure entre les deux communautés. Un espoir ? Dans l'émission sus-citée. A. Meddeb : «Face au désastre actuel, le passé peut apporter des lumières». B. Stora: «Il y a un désir d'Orient, sans être angélique, on est sûr que la force de l'héritage commun ne peut pas mourir».