Le réalisateur libanais, primé pour «West Beyrouth» aux JCC 98, réalise une adaptation du best-seller de Yasmina Khadra. Le film, qui fait déjà une carrière internationale, - censuré par les Etats membres de la Ligue arabe. «Pourtant, elle semblait heureuse», dit le docteur Amine Jaafari, chirurgien israélien d'origine arabe, après avoir su que sa femme s'est fait exploser dans un restaurant, à Tel Aviv, au milieu de dizaines de clients, dont des enfants qui fêtaient un anniversaire. Comment admettre l'impossible, l'inimaginable, découvrir qu'on a partagé, des années durant, la vie et l'intimité d'une personne dont on ignorait l'essentiel ? Le soir de l'attentat, avant de partir honorer son engagement, Sihem, la femme d'Amine, avait préparé un dîner royal. Elle s'était, ensuite, donnée à lui entièrement, totalement, comme une femme toujours amoureuse. C'était le signe. Mais comment est-ce que Amine pouvait le comprendre ? Comment peut-on savoir ce qui se passe dans la tête de l'autre quand l'autre ne dit rien ? Comment peut-on anticiper le pire lorsque le meilleur nous aveugle ? Jaafari ne peut pas accepter le fait que Sihem soit une tueuse d'enfants. Il décide alors de partir à la rencontre de ces gens qui lui ont lavé le cerveau et qui ont fait d'elle une kamikaze. Il essayera de trouver la vérité, la sienne. Car, « il ne s'est jamais senti impliqué de quelque manière que ce soit dans le conflit sanglant qui, selon lui, ne fait qu'opposer, à huis clos, les souffre-douleur aux boucs émissaires d'une Histoire scélérate toujours prête à récidiver. Lui qui a choisi de sauver des vies plutôt que de tuer, ne comprend pas pourquoi certains choisissent de faire don de leur propre vie pour le salut des autres. Il ne comprend pas, non plus, que pour ces gens-là, c'est ou la décence ou la mort, ou la liberté ou la tombe, ou la dignité ou le charnier».(*) «Nous ne sommes pas des islamistes, ni des chrétiens fanatiques», lui dit-on. «Nous sommes un peuple qui cherche par tous les moyens à retrouver sa dignité». Peut-on mettre tous les moyens en œuvre pour atteindre ses fins ? Est-il vrai que rien n'est défendu de ce qui peut servir une cause ? Quand toutes les ouvertures sont bouchées, y a-t-il une autre manière, que la violence ou le terrorisme, d'être humain ? C'est, entre autres, les questions que l'on se pose en regardant «L'attentat», le film du réalisateur libanais Ziad Doueiri, adapté du best-seller de Yasmina Khadra (de son vrai nom Mohamed Moulessehoul), le spécialiste de romans sur fond de terrorisme. La censure et le succès Sorti en France le 29 mai 2013, le film a reçu de la part de la critique un accueil unanime. Il a été nominé dans des festivals où il a remporté plusieurs prix, dont L'Etoile d'Or, le Grand prix du Festival International du Film de Marrakech ; le Prix du public et le Prix spécial de la critique au Festival ColCoa du film français à Hollywood et le Prix spécial du jury au Festival de San Sebastian. L'idée de le soumettre pour le prix du meilleur film étranger 2013 par l'Académie des oscars commence à faire son chemin. Mais, au Liban, d'après un article paru dans le Nouvel observateur, «L'attentat» de Ziad Doueiri a reçu le prix «honteux» de la censure. Sous prétexte qu'il a été tourné en Israël et que certains acteurs sont israéliens, le film a été interdit de diffusion par le ministère de l'Intérieur libanais. A l'initiative du Bureau de boycottage d'Israël, un comité permanent créé en 1951 par la Ligue arabe chargé de formaliser la censure des produits en provenance de l'Etat hébreu, la censure a ensuite été étendue à l'ensemble des Etats membres. Rappelons que le projet de l'adaptation de ce roman pour le cinéma est né en 2006. Mais il a été abandonné, à cause des évènements sanglants de l'époque, puis relancé quatre ans plus tard par les producteurs français Rachid Bouchareb («Indigènes») et Jean Bréhat («Omar m'a tuer»). Ziad Doueiri est le premier cinéaste libanais à avoir pu filmer en Israël grâce à son passeport américain. En tout cas, la censure n'a pas empêché le film, tant attendu par les lecteurs de Yasmina Khadra, de circuler en DVD piraté. C'est ainsi qu'il nous est parvenu. En le regardant, nous avons constaté que le réalisateur a été fidèle au roman mais quand même pas jusqu'au bout. L'adaptation, coécrite par Joëlle Touma et Ziad Doueiri, se permet de laisser Amine en vie, à la différence du livre où il décède lors d'un tir israélien sur la voiture de l'imam qui aurait endoctriné sa femme. Cela dit, le réalisateur a su traduire, en images claires-obscures, le côté égaré du personnage principal, et aborder d'une manière très subtile un sujet casse-gueule : le conflit israélo-palestinien. Ziad Doueiri nous oblige constamment à nous poser des questions sur ce qu'on voit et ce qu'on pense, en nous laissant, par la neutralité du regard et le calme imperturbable de la mise en scène, la place et le temps de réfléchir. (*) Extrait du roman