Mohamed Moussehoul, alias Yasmina Khadra, semble vivre mal son « exil » parisien. C'est en tout cas ce qui ressort d'une récente interview accordée par l'illustre romancier algérien à la revue Nouveaux regards*. L'article parle même de la « haine que vouent les critiques à Khadra », et ses auteurs se demandent si une « certaine condescendance qui anime Paris », voire « une forme de racisme » ne sous-tendent pas l'hostilité de ces détracteurs à l'égard de l'auteur de Ce que le jour doit à la nuit. Dans ce qui suit, nous reproduisons quelques extraits de l'entretien publié par la revue de l'Institut de recherches de la FSU, qui traduisent le mieux l'amertume de Yasmina Khadra. « Vous semblez très en colère contre le monde littéraire. Vous savez, pour L'Olympe des infortunes, qui est un livre que j'ai profondément aimé, j'ai lu sous la plume d'un critique qu'il s'agissait d'un « roman raté ». C'est extrêmement violent et haineux. C'était dans la presse régionale car aucun titre de la presse nationale n'a même condescendu à parler de ce livre. Vous pensez vivre dans un pays démocratique mais dans le domaine intellectuel, vous êtes proche d'un modèle stalinien : quand on veut tuer quelqu'un, tout le monde en meute se rassemble pour la curée. Je dis aux Parisiens que la légende d'un Paris fait d'artistes, d'empathie et d'engagements, plein de la noblesse de son combat, est aujourd'hui morte. Tout le monde s'accorde à défaire le travail d'un écrivain, à le passer sous silence pour le rejeter dans le néant. Vous savez pourquoi ? Vos autres ouvrages ont pourtant été bien accueillis. Je ne sais pas pourquoi, je peux seulement l'interpréter. L'an dernier déjà, des articles descendaient en flamme Ce que le jour doit à la nuit, écrivant que c'était un roman à l'eau de rose…Il existe heureusement encore aujourd'hui des personnes qui ont du respect pour la littérature, qui ont une âme. Ils se démarquent en m'invitant dans des compartiments où ils ne sont pas à la solde d'une doctrine ou d'une ligne éditoriale, c'est le cas de la radio encore. Quel est votre lieu préféré ? J'ai été heureux à Aix-en-Provence, j'avais 45 ans, j'étais libre, et j'avais le temps d'écrire. Avec cette responsabilité du Centre culturel algérien (**), je suis devenu habitant de Paris, j'y occupe un appartement, mais tout mon horizon se borne aux trajets entre mon appartement et mon bureau. Une ville n'est pas qu'un assemblage de trottoirs et d'immeubles, c'est d'abord par les gens que vous rencontrez que vous aimez une ville. Les musées ne vous parlent pas plus que les monuments, seuls les gens le peuvent. Quand j'étais jeune, Paris était un rivage enchanteur, une lumière au bout de mon tunnel. Mais une fois sur place, j'ai compris que ces lumières étaient les flammes de l'enfer. J'ai été profondément choqué par l'accueil de Paris. Ce que j'ai enduré ici est pire que ce que j'ai subi dans les maquis islamistes. Etre considéré comme un paria, la voix à faire taire, la figure à défigurer, c'est tellement ridicule, lamentable et cruel à la fois. Le problème de Paris est qu'il est occulté par un milieu intellectuel qui vit aux crochets d'un talent mythique qui a fait sa gloire par le passé et dont il caresse le fantôme. Aujourd'hui, Paris vit en rentier de ses souvenirs, privilégiant l'exclusion là où jadis il semait son immense générosité, élevait au rang de la noblesse l'ensemble des arts honnis : le tango, le jazz, le surréalisme, la négritude américaine, etc. Giono ne tarissait pas d'éloges à l'endroit de Chester Himes ! Que reste-t-il de cette curiosité saine, belle, lumineuse, qui rendait Paris radieux au milieu des grisailles ? Rien, hormis le clanisme, les réseaux de prédation, le renvoi d'ascenseur et cette absurde volonté de nuire à celui qui ne se conforme pas aux normes réductrices de la création intellectuelle. Il existe un autre Paris, celui des gens simples et ordinaires, sains d'âme et d'esprit, beaux et loyaux. Celui-là, je le rencontre au Salon du livre, dans les librairies, au gré de mes rendez-vous littéraires avec mes lecteurs. C'est ce Paris que je préfère. Car il me ressemble. » Le prix de l'honnêteté intellectuelle Dans la même interview, Yasmina Khadra revient sur son pseudonyme et en explique l'adoption par la crainte du comité de censure créé spécialement contre lui par l'armée algérienne où il occupait le grade de lieutenant. C'est sa femme en réalité qui lui a proposé ce nom d'emprunt lequel réunit tout simplement ses deux prénoms à elle : Yamina (devenu Yasmina par la suite pour une meilleure sonorité dans l'oreille d'un premier éditeur) et Khadra. A une question sur la langue qu'il préfère pour écrire, Khadra répond que l'arabe « est sublime pour la poésie » tandis que le français « est la langue du roman ». Sur le choix du genre romanesque, il explique qu'il lui convient mieux pour « répondre aux questions qui le persécutent ». Commentant son roman de 2005, L'Attentat, qui porte sur le conflit israélo-palestinien, Khadra affirme que par ce livre, il tentait de comprendre ce qu'était la Palestine à travers les Palestiniens, et ce que représentait Israël à travers les mentalités et des sionistes et des juifs. Il ajoute plus loin : « Je tente de comprendre un problème à travers le caractère inextricable des mentalités. Nous sommes les seuls artisans de nos malheurs comme les seuls architectes de nos rédemptions. Lorsqu'un conflit ne trouve pas de solution, c'est que l'on ne veut pas qu'il s'arrête. J'ai écrit L'Attentat pour en dire l'absurdité. Aucune idéologie ne doit supplanter le droit à la vie. La plus grande cause qui soit est celle du droit à la vie, et personne n'a le droit d'assassiner une personne, une famille, un peuple pour asseoir un immense mensonge qui s'appellerait le messianisme ou l'idéologie. » Il y a lieu de se demander après lecture de ces derniers propos, si l'ostracisme dont pâtit Yasmina Khadra dans les milieux intellectuels et littéraires parisiens ne trouve pas son explication dans la franchise et l'honnêteté avec laquelle l'auteur de L'Attentat analyse le conflit du Proche-Orient. Nul doute que le discours antisioniste de Khadra gêne plus d'un parmi l'intelligentsia parisienne, pro-israélienne dans sa majorité. Bien avant Yasmina Khadra, Vercors, l'auteur du Silence de la mer, (pourtant juif par son père) dut subir le même froid à cause, entre autres, de ses positions dépassionnées à propos de la guerre entre Palestiniens et Israéliens. Romans de Yasmina Khadra Pour terminer, rappelons les principales œuvres de Yasmina Khadra : en 1984, à Alger, il publie Houria, son premier recueil de nouvelles. Son roman Amen paraît la même année mais en France. En 1999, il publie A quoi rêvent les loups ; trois ans plus tard Les Hirondelles de Kaboul. En 2004, paraît La Part des morts. Depuis 2005, il a publié successivement L'Attentat (2005), Les Sirènes de Bagdad (2006), Ce que le jour doit à la nuit (2008) et L'Olympe des infortunés (2009). Badreddine BEN HENDA *Nouveaux regards, numéro 49, avril, mai, juin 2010-09-09 **Actuellement, Yasmina Khadra est directeur du Centre culturel algérien de Paris