80 % des intéressés sont des femmes ayant dépassé la quarantaine. Elles cherchent à défier le temps sans effet artificiel. Les 20 % restants concernent des jeunes femmes qui veulent devenir artificiellement à la mode La demande masculine progresse depuis dix ans. Elle touche près de 20 % de la demande totale Depuis la nuit des temps, l'Etre a toujours devancé le Paraître, usant des qualités morales et des traits de caractère fondamentaux aux rapports avec autrui pour décrocher la part du lion sur le plan social et de la communication. Se présentant en tant que fond, en tant que contenu sûr et durable de l'être humain, valorisé par un aspect immatériel, noble, voire sacré, l'Etre régissait à lui seul les relations humaines. Le Paraître, quant à lui, et quoique détenant des atouts tentants, demeure au second plan des appréciations car matériel et dérisoire. Le duel déséquilibré entre l'Etre et le Paraître, entre les valeurs morales et la tentation physique, plus encore, entre le durable et l'éphémère a inspiré les populations du monde entier. Des proverbes comme «l'habit ne fait pas le moine» ou encore « les apparences sont trompeuses» sont le fruit d'une conviction jusque-là bien fondée. Qui aurait pu dire que le Paraître parviendrait un jour à renverser la tendance ? Qui aurait pu imaginer jusqu'où l'être humain pourrait aller pour «polir» son Paraître, le rendre plus attrayant, plus séduisant, plus important ? Depuis plus d'une décennie, le physique a nettement gagné du terrain pour devenir un outil proprement dit d'intégration sociale. Il se présente, en effet, comme une devise gagnante, permettant une meilleure appréciation de l'Etre. Et pour mieux se valoriser parmi ses égaux, l'Homme est capable de procéder aux astuces les plus folles. La chirurgie esthétique vient, justement, exaucer les vœux d'embellissement, de rajeunissement et de sophistication physique les plus chers. Le progrès médical et celui plastique en particulier servent les envies les plus exigeantes et les plus obsessionnelles. Paraître plus jeune de vingt ans, avoir une silhouette d'une jeune femme de vingt ans alors qu'on frôle la cinquantaine, sculpter sa silhouette comme on sculpte une statuette en argile, retoucher son corps comme on retouche son habit, métamorphoser son visage pour ressembler à des figurines de Playstation explosant de sensualité ou encore à des sexe-symboles internationaux ne comptent plus parmi les rêves impossibles à réaliser. Le corps humain n'a jamais été perçu comme un objet, comme c'en est le cas actuellement. En Tunisie, comme dans le monde, la demande en matière de chirurgie plastique suit une courbe croissante. Les Tunisiens, tous âges confondus, n'hésitent plus à s'adonner à la chirurgie pour se délester d'un défaut physique, voire d'un complexe psychique. La crainte du risque chirurgical et la phobie des blocs opératoires se dissipent comme par magie à la seule idée d'avoir un physique de rêve. «Dans notre pays, la demande en matière de chirurgie esthétique est explosive. Elle touche aussi bien les femmes que les hommes», déclare le Dr Samia Kanoun, spécialiste en chirurgie plastique. Il faut dire qu'avec l'amélioration continue du niveau de vie et l'émergence de nouveaux critères et techniques esthétiques, la gent féminine a trouvé un moyen efficace pour être de plus en plus belle; un moyen dont les résultats sont admis rapides et durables, quitte à ce que cela soit coûteux. «Une silhouette mince, une peau jeune, sans rides ni taches brunes, voilà les nouveaux critères majeurs de la beauté féminine. Des lignes de base auxquelles l'on ajoute une poitrine parfaite, peut-être même des lèvres pulpeuses et des pommettes bien finies», indique M. Moncef Mehadhebi, expert en techniques médicamenteuses et non médicamenteuses. Généralement, c'est à partir de l'âge de 40 ans que les femmes recourent à la chirurgie plastique. Certaines optent pour un lifting leur permettant de rajeunir et de gommer les signes du temps. Toutefois, la demande la plus importante entre dans le cadre de la «sculpture» de la silhouette. Selon le Pr Ali Adouani, chef de service de chirurgie esthétique à l'hôpital Charles-Nicolle, la liposuccion occupe la part du lion en matière de demande, soit près de 40%. Elle est suivie de la chirurgie esthétique du sein, à savoir la réduction et l'augmentation mammaires; la rhinoplastie ou la chirurgie esthétique du nez, la profiloplastie, la chirurgie de l'abdomen et le lifting. Dans le privé, l'on parle surtout de la sculpture de la silhouette. Ce terme renferme tous les détails à corriger. «L'augmentation et la réduction mammaires sont les plus demandées par les femmes. Nous procédons également au lifting mammaire. En second lieu vient la lipo-sculpture. Il s'agit d'une technique qui consiste à remodeler le corps, et ce, en creusant une taille, en enlevant un ventre ou encore la culotte de cheval, à créer une jolie chute de reins chez les femmes, qui reste un critère basique de la féminité. Quant à l'abdominoplastie, elle ne consiste pas en la suppression de la graisse stockée dans l'abdomen, mais plutôt en le rapprochement des muscles et en la suppression de la peau en surplus», explique le Dr Kanoun. Ce qui est distinctif chez la femme tunisienne, c'est qu'elle est partante pour retoucher le corps beaucoup plus que le visage. Le lifting hante bon nombre de femmes, pour qui les signes du temps sont perçus comme les pires ennemis. Selon l'avis de M. Mehadhebi, 80% d'entre elles aspirent au naturel, tandis que 20% préfèrent le côté sophistiqué, tant en vogue. En effet, ce sont les femmes d'un certain âge qui recherchent le naturel, le soft. «Pour le lifting, il faut toujours se référer à d'anciennes photos, pour étudier le visage et sauvegarder ses traits initiaux», note le Dr Kanoun. Les jeunes, en revanche, s'amusent à demander des transformations extravagantes du visage: des pommettes exagérées, des lèvres boostées, toutes les composantes d'un visage de star. L'aspect artificiel ne les gêne surtout pas, bien au contraire, il est vu comme un atout de plus, une conformité certifiée aux critères de beauté les plus médiatisés. «Nous recevons souvent des jeunes filles qui veulent être opérées pour ressembler à telle ou telle star. Ce sont, à mon avis, des demandes basées sur l'exagération. Nous les refusons car nous sommes convaincus qu'il est indispensable de protéger et de respecter notre identité physiologique», indique le Pr Adouani. Un visage à la mode Jeunes et moins jeunes optent donc pour la chirurgie esthétique, chacun pour un but bien précis mais tous pour acquérir un physique agréable, leur permettant de se sentir bien dans leur peau et de diffuser des ondes positives dans leur entourage. Si les jeunes femmes affichent fièrement leur métamorphose, les moins jeunes, elles, les dissimulent. Amel a 47 ans. Mariée, deux enfants, elle acceptait mal son physique. Elle a pensé à se faire opérer la poitrine mais son initiative n'a trouvé aucun écho d'encouragement de la part de sa famille et de son mari, en particulier. Profitant du voyage de son mari, elle a pris son courage à deux mains et s'est présentée pour un redressement mammaire. «J'avais peur au début, mais ma volonté d'en finir avec ce complexe qui m'empoisonnait la vie était plus forte. L'équipe médicale a su me rassurer et me prendre en charge. Les douleurs postopératoires se sont vite dissipées et j'ai pu récupérer assez rapidement. Aujourd'hui, j'ai plus confiance en moi et je suis bien dans ma peau», nous confie-t-elle. Quand les hommes s'y mettent Si le souci de paraître dans sa plus belle allure était l'apanage de la gent féminine, il a su gagner l'esprit des hommes, les hanter comme une obsession. L'option des femmes tunisienne pour la chirurgie plastique a, selon le Pr Adouani, débuté il y a vingt ans. Mais depuis une dizaine d'années, certains hommes se montrent convaincus par l'utilité d'une chirurgie à finalité esthétique, et donc facultative. Il faut avouer que la tentation est alléchante: greffe de cheveux pour ceux qui n'acceptent pas leur calvitie, une rhinoplastie pour corriger un nez ingrat, une blépharoplastie pour enlever les poches des yeux ou des paupières, une gynécomastie pour réduire la graisse au niveau de la poitrine, une liposuccion pour corriger les défauts de sa ligne, tant de technique pour mettre monsieur à l'aise dans son corps et dans son esprit. Mohamed est un commerçant âgé de 33 ans. Il pèse 96 kilos et vivait mal la déformation de ses cuisses due à l'excès de graisse. Il a appris, par un ami, que des opérations esthétiques peuvent mettre fin à ce complexe. Il n'a pas hésité une seconde. Le lendemain, il a consulté un médecin spécialiste pour faire le pré-diagnostic. Il s'est fait opérer et est rentré chez lui immédiatement après. « Tout a été fait dans l'immédiat mais aussi en toute discrétion. Ma famille ne s'est même pas rendu compte et j'ai préféré ne rien dire à personne. Me voyant mal au point, je leur ai dit que je souffrais d'une grippe. J'ai même réussi à conduire 24 heures après l'opération», ajoute Mohamed. «J'ai constaté que les hommes se font très discrets, car plus gênés», fait remarquer le Dr Kanoun. Cela n'empêchera pas la demande masculine de croître. Si elle ne compte que 20% de la demande totale, M. Mehadhebi est persuadé qu'elle continuera à aller crescendo. Le coût du bien-être Une demande qui augmente, en dépit des coûts assez salés des interventions. En effet, selon le Dr Kanoun, un lifting varie entre 2.000 et 3.000dt, la sculpture d'une silhouette n'excède pas les 3.000dt. «Pour ce qui est de la liposuccion, son coût varie entre 1.800 et 3.000dt. La micro-greffe, elle, est à cheval entre 1.200 et 1.600dt. Quant au coût de l'augmentation mammaire, il varie suivant la matière des prothèses utilisées, leurs tailles. Il ne dépasse pas les 2.000dt», souligne M. Mehadhebi. La demande est, par ailleurs, argumentée par des résultats généralement positifs et durables. Certes, le risque zéro n'existe pas, mais les chirurgiens plasticiens prennent généralement toutes les dispositions pour éviter de mettre le patient en danger. « C'est le diagnostic primaire qui décide, en fin de compte, de la faisabilité de l'intervention. Il est impératif, en effet, de calculer le taux de risque en prenant en considération l'âge du patient, les maladies dont il souffre, les éventuelles allergies, à la pénicilline par exemple, etc.», note M. Mehadhebi. Diagnostic mais aussi prise en charge psychologique. Le Pr Adouani insiste beaucoup sur cet aspect car «entre la métamorphose rêvée de la patiente et le côté médical et réel, il y a bien un écart. Il faut donc préparer la patiente au résultat suivant la situation et non le rêve», ajoute-t-il. Le rôle du praticien n'est donc pas limité à la seule intervention chirurgicale. Le volet psychologique fait partie intégrante d'un choix qui implique à égalité et le cadre médical et le patient. Selon l'avis de M. Mehadhebi, la déontologie médicale ne doit aucunement faire défaut, mieux encore, il serait préférable que le patient ait deux avis au lieu d'un seul.