Deux experts nous livrent leurs impressions sur le fléau Leïla Sebii (archéologue) : « La situation va empirer » Je suis profondément bouleversée par la disparition de cette rare et précieuse pièce tant au niveau de l'iconographie que de l'histoire et en même temps en colère contre ceux que ce vol scandalise. Je n'ai pas de raison d'accuser quiconque, je ne jette la pierre à personne en particulier. Il est indéniable que la part de l'administration est évidente, mais je trouve scandaleux, sinon honteux que tout le monde, principalement les internautes, facebookers et autres médiateurs crier à voix haute, condamnant les insuffisances de la sécurité, le manque d'attention, le gardiennage. Je suis convaincue que la majorité des citoyens, intellectuels compris, ignoraient jusqu'à l'existence de cette pièce, il y en a même qui ne connaissaient pas le nom de Ganymède. La faute à qui ? Que ceux que cet acte indigne se posent la question. Nos musées sont désertés depuis longtemps, personne n'y va, alors qu'il y a des encouragements de toutes sortes, gratuité d'entrée les premiers dimanches du mois, etc. Nous devons être fiers, conscients de la richesse de notre patrimoine, mais à part les spécialistes, qui connaît ce que recèlent nos musées ? Prenez l'Afghanistan, là c'est clair, les habitants arrachent les monuments pour les détruire au vu et au su de tout le monde. Chez nous, on tue le patrimoine à petites doses. Et je suis convaincue que la situation va empirer. Mon comportement peut paraître cynique, il est, croyez-le, à la mesure de mon indignation. Fethi Chelbi (ancien conservateur du musée de Carthage) : « Il faut retrouver Ganymède » Une pièce remarquable, je n'en reviens pas, je suis renversé, ulcéré par cet acte criminel. Je n'ai pas d'idée sur l'idée du vol, je ne comprends pas comment il a été commis. En revanche, je sais que le site est isolé, le musée n'est pas assez protégé. A l'époque où j'étais à la conservation, il y avait moins de sécurité qu'aujourd'hui, je me rappelle qu'un moment j'ai retiré la statuette de la vitrine et l'ai déposée dans la réserve. Nous vivons une période de troubles à tous les niveaux, propice aux vols, aux incendies. Regardez ce qui s'est passé en Irak, ses musées ont été dévalisés, ce qui se passe aujourd'hui en Syrie est de la même nature, idem en Egypte. En Tunisie, il existe des sites archéologiques couvrant des centaines d'hectares, il doit y avoir des vols de petites pièces, des actes de vandalisme. Comment protéger ces sites ? Il faudra se pencher en urgence sur cette question. En cette période, il faut absolument redoubler de vigilance. Les autorités locales et Interpol doivent retrouver Ganymède avant qu'elle quitte le territoire.