Cette structure, mise en place pour aider les jeunes en difficulté, a besoin de plus de moyens pour agir de manière plus effective Dans le Centre de défense et d'intégration sociale de Mellassine (nord-ouest de Tunis), le brouhaha des jeunes résonne entre les murs. Le centre reçoit des enfants déscolarisés ou en difficulté scolaire, et des jeunes qui ont des démêlés avec la justice. L'équipe éducative les forme et les initie à un métier. Elle leur fait également découvrir le théâtre et la peinture. L'objectif est de leur redonner de l'espoir. De l'espoir, les éducateurs essayent d'en donner aussi à ceux qui refusent de venir au centre, ceux qui sont en rupture relative avec leur famille et qui passent leur temps dans la rue. Pionnier en Tunisie, le centre de Mellassine mène le «programme rue» depuis 2002. Des visites de prospection sont régulièrement effectuées dans les quartiers populaires de Tunis, d'abord pour observer la dynamique du quartier et repérer les enfants les plus vulnérables et les jeunes leaders de rue. A Mellassine par exemple, les éducateurs effectuent deux tournées par semaine, le lundi et le mercredi après-midi. Ils essayent, par la suite, d'approcher ces jeunes et de mieux connaître leurs centres d'intérêt. Le centre conçoit alors des parcours d'intervention et organise des activités susceptibles d'attirer ces enfants et adolescents «en situation de rue». Les évènements ont lieu le plus souvent dans les espaces publics où la police est absente. L'objectif est d'établir un contact avec les jeunes, les éduquer ou les rééduquer d'une manière implicite. Le centre de Mellassine est le seul de tout le gouvernorat de Tunis et, à en croire le personnel, ses moyens logistiques et matériels sont limités. «Il n'y a que quatre personnes impliquées dans le programme rue, c'est trop peu. A cause de cela, on a décidé de ne travailler que dans deux quartiers proches du Centre de défense, à savoir Sidi Hassine et Mellassine», affirme Neji Chihaoui, assistant social principal. Pour les autres quartiers populaires de Tunis, tels que Jebel Lahmar, Hafsia, Kabaria et Dubosville, il faudra donc attendre. Bien que les quartiers de Sidi Hassine et Mellassine soient réputés difficiles, l'équipe du centre a réussi à toucher des jeunes en difficulté et à nouer des liens avec eux. «Nous n'avons pas de problèmes pour aller vers eux, mais ce qui est réellement difficile, c'est le fonctionnement des administrations en général. L'intervention sociale nécessite une collaboration étroite avec d'autres structures, mais celles-ci n'accomplissent pas leur rôle convenablement», assure Neji. Pour citer un exemple concret de ce problème, Neji raconte le cas d'un jeune toxicomane qui a récemment perdu l'usage de ses jambes, faute de soins. Selon l'assistant social, l'adolescent consommait du Subutex, une drogue dure couramment appelée Sobitex. «C'est la drogue qui est responsable de son handicap. On trouve d'autres jeunes toxicomanes dans la rue, mais il n'y a aucune structure étatique qui peut les prendre en charge. Il existe des associations habilitées, mais les soins ont un certain coût. Pour beaucoup de toxicomanes, 360DT c'est hors de prix». Dans certains cas, les assistants et éducateurs de rue ne parviennent pas à aider les jeunes en difficulté. Leur crédibilité est alors mise à mal. «Nous n'avons pas pu sauver ce jeune. D'autres toxicomanes ne viendront certainement pas nous voir pour les sortir de l'impasse», regrette Neji. Surcharge de travail En plus du programme «rue», le centre est chargé de mener cinq autres activités, notamment avec les jeunes en conflit avec la justice, transférés par les centres correctionnels. En effet, malgré les difficultés logistiques et matérielles qu'il rencontre, le centre est sollicité, entre autres, par les structures relevant du ministère de la Justice. «Sommes-nous capables d'accomplir la mission qui nous incombe? Certainement pas avec les moyens que nous avons», affirme le directeur du centre, Atef Bourghida. Au début des années 1990, la Tunisie a mis en place un Plan de développement économique et social, dont le but est de protéger les familles des risques de marginalisation et de prémunir ses membres contre la délinquance, l'échec, etc. «Pour être de véritables mécanismes de réalisation de ce plan, il faut doter les centres de défense de moyens adéquats. L'autre solution est de ne laisser à leur charge que les créneaux qui sont réellement à leur portée». Pour le responsable, tout le Plan national doit être revu, ainsi que la loi qui régit les centres. Il n'y aurait pas, en effet, de cadre administratif et de méthodologie de travail clairs régissant les activités des 18 centres de défense et d'intégration sociale en Tunisie. Chacun travaille selon sa propre méthode, au moins en ce qui concerne le «Programme rue». Quant aux moyens, bien que le centre de Tunis souffre de lacunes importantes, il est, selon le directeur, mieux doté que les centres de l'intérieur du pays. Communiquer avec les jeunes dans la rue est difficile. Ces jeunes ont leurs propres codes, langage et rites de survivance. Très souvent, ils ont des problèmes de santé et de toxicomanie. Ils travaillent dans des créneaux parallèles aux circuits conventionnels. Les convaincre de ne pas rejeter les institutions est un travail de longue haleine. Mais au final, changer de vie dépend en premier lieu de leur propre volonté. «Ce sont les jeunes qui, à un certain moment de leur vie, décident de changer. C'est à ce moment précis qu'il faut être présent. Plus tard, c'est peut-être trop tard», conclut Neji Chihaoui.