On s'attendait que l'éminent évènement culturel des Journées théâtrales de Carthage annoncerait a priori un mouvement prometteur interprétant ainsi un éther joyeux qui parcourrait et nos rues maussades et nos salles de théâtre désertes. On était persuadé qu'au cœur de la vie, du centre-ville et de nos âmes, le théâtre insufflerait cette ponctuation agréable et bienfaisante en traduisant cet hymne à la vie et cet amour de l'art. Jean Vilar ne disait-il pas que «le théâtre est une nourriture aussi indispensable à la vie que le pain... Le théâtre est donc, au premier chef, un service public. Tout comme le gaz, l'eau, l'électricité» ? Du tapis rouge, au théâtre de rue, des hôtes jusqu'aux invités, du choix des pièces de théâtre jusqu'au choix de l'affiche et des couleurs du catalogue, le festival se devait de projeter une image que reflète le labeur de tous ceux qui ont participé dans l'organisation. Hélas, vendredi soir, justement, l'image de l'ouverture des JTC a été tout simplement aride et inexpressive. Rendre à l'art ce qui appartient à l'art Les 16es Journées théâtrales de Carthage ont invité une pléiade d'artistes venus du monde entier. Ainsi les 22 pays maghrébins, arabes, africains et européens représentent 51 pièces de théâtre, mais aussi des visions du monde éclatées, inspirées et saisissantes de l'époque qu'on vit, puisque la résolution commune du festival consiste à s'enraciner dans l'époque. Le choix est, paraît-il, symbolique quand il s'agit d'amorcer les JTC par la pièce de Fadhel Jaïbi et Jalila Baccar : Tsunami, de par le titre, le contenu et l'apport de la pièce. Toutefois, le mot de bienvenue n'a pas résonné dans la Bonbonnière. En effet, le ministre de la Culture, qui était présent, n'a pas proféré le discours officiel d'ouverture de la cérémonie. L'ouverture manquait donc d'allégresse : les noces du quatrième art se sont virevoltées en une atmosphère froidissime où le mot de bienvenue, la danse, le chant et l'hymne à un art joyeux sont supposés être omni-absents. Un coup de théâtre... A peu près 500 invités ont été priés d'aller à l'hôtel Africa pour une réception qu'organise le festival. Quelques minutes après leur sortie du Théâtre municipal, on découvre que la réception est annulée et reportée pour le lendemain. Le problème est saisissable : le manque d'organisation; on a en fait oublié d'informer le directeur de l'hôtel de la planification de cette réception, et on est venu solliciter son accord à la dernière minute. Franchement, entonner une session aussi importante de cette manière nous rend profondément perplexe. Ajoutons à cela le manque d'équité qui a amené plusieurs artistes tunisiens à ne pas assister à l'ouverture : on a remarqué que plus a moitié des invitations a été donnée aux fonctionnaires du ministère de la Culture avant deux jours de l'inauguration des JTC. Finalement, on a bien vu jusque-là que le mot d'ordre: l'enracinement dans l'époque est bel et bien ancré dans l'esprit du festival, puisque notre époque oublie l'une des meilleures vertus orientales et universelles qui est l'hospitalité et traduit une cacophonie parlante. Devant ce mot d'ordre, on songe à un rappel à l'ordre qui se plaint du manque de la bonne volonté. Ce manque-là risque de nous priver du bonheur que l'art et le théâtre nous offrent. Et là, citons le philosophe français Vincent Cespedes qui nous invite à conjuguer tous les noms du bonheur avec tous les verbes de l'art du don : «Le vrai bonheur ne se conjugue ni avec le verbe avoir ni avec le verbe être. Le vrai bonheur se conjugue avec le verbe rendre. Rendre heureux : rendre le charme donné, rendre l'âme et renaître altéré, accueillir les autres en soi-même et plonger dans des hospitalités de liesses et de réconforts».