Les «réalisations» de l'actuelle classe politique tunisienne se traduisent par une franche désarticulation des tissus productifs, une dissuasion croissante des investisseurs locaux et étrangers et un accroissement de la dette extérieure. Que reste-t-il des espoirs suscités par la Révolution ? Pratiquement, des illusions et des déceptions à n'en plus finir. Lesquelles illusions et déceptions ne sont pas à détacher de ces 800 mille Tunisiens qui chôment encore et d'un taux de chômage supérieur à 32% chez les diplômés du supérieur. Près de trois ans depuis la «Révolution du jasmin», nos politiciens continuent à se chamailler et à leurrer tout un peuple — un peuple ô combien simple et patient — en puisant dans un langage stéréotypé. Faut-il encore espérer que ces professionnels du verbe réalisent que le taux de pauvreté est toujours de 24,7% ? Que la dégradation du déficit budgétaire s'est traduite par un accroissement de l'encours de la dette publique passant de 44,5% du PIB (produit intérieur brut) en 2011 à 45,9% du PIB en 2012 ? Que cette tendance à la hausse devrait se poursuivre jusqu'en 2016 avant de s'inverser ? Seraient-ils, sinon, conscients d'une situation qui ne s'est en rien améliorée, mais qui s'est détériorée dans de nombreux secteurs ? Allusion faite dans ce sens au commerce où le déficit s'est élevé à environ 15% du PIB en 2012, et où le taux de couverture des importations par les exportations s'est établi à environ 60%. Ne leur incomberait-il pas de sauver un pays qui se trouve à présent confronté à la rencontre explosive d'une grande crise régionale et du naufrage généralisé de ses propres règles économiques, de ses identités politiques et culturelles et de ses institutions ? Plus claire que l'eau de roche serait la réponse à ces interrogations qui font mal, mais qui reviennent sans cesse au nord comme au sud et à l'est comme à l'ouest, du côté des plus éclairés comme du côté des plus anesthésiés par un quotidien de plus en plus dur. Aujourd'hui, une chose est sûre : les réalisations de l'actuelle classe politique tunisienne se traduisent par une franche désarticulation des tissus productifs, une dissuasion croissante des investisseurs locaux et étrangers et un accroissement de la dette extérieure. Une deuxième chose est sûre : ces hommes occupant le devant de la scène politique seraient devenus peu crédibles auprès d'un peuple qui a fini ou plutôt finira par s'éveiller de son sommeil et de son anesthésie. Un peuple qui a vu l'ambition et la fraude prendre le masque de l'adhésion. Un peuple ayant aujourd'hui la certitude qu'il fait face à une foule d'âmes égoïstes le conduisant tout droit vers le mur, au crash financier, justement. Des réformes douloureuses... Ce peuple, dont la patrie est devenue l'otage des ambitions de deux hommes au crépuscule de leurs vies et d'une classe politique en total déphasage avec la réalité économique et sociale du pays, n'a pas la mémoire courte. C'est qu'il ne peut en aucun cas perdre de vue que la Tunisie, depuis son accession à l'Indépendance, a demandé son concours au FMI (Fonds monétaire international) uniquement deux fois. La première, c'était en 1964 lorsque le pays a contracté un prêt de 14 millions de dollars contre un engagement qui n'a pas été tenu, à savoir la suppression du déficit des finances. La deuxième fois, c'était en 1986, où le dinar fut une deuxième fois dévalué de 20% et l'économie tunisienne contrainte à un plan d'ajustement structurel. Ce peuple qui continue à consommer, à spéculer dans une logique de fuite en avant, sait pour autant, que la Tunisie compose aujourd'hui avec le FMI en plus dramatique, étant devenue son enfant chéri. En 2012, où les réserves officielles étaient tombées à 94 jours d'importation et où la signature tunisienne était devenue très dévaluée sur les marchés internationaux, les deux emprunts réalisés auprès de cette instance financière internationale n'ont été possibles qu'avec la garantie officielle des trésors américain et japonais. Aujourd'hui encore, alors que ses décideurs et politiciens prétendent plaider pour sa cause, la Tunisie continue à solliciter le concours du FMI . En contrepartie, il lui faut s'engager dans un certain nombre de réformes structurelles qui ne manqueront pas de susciter de vives résistances dans la société, étant donné qu'elles toucheront des acteurs sociaux auxquels la révolution a donné les moyens de se défendre. Plus précisément, seront touchés les fonctionnaires et les salariés des entreprises publiques représentant le tiers du salariat. S'y ajoutent les consommateurs et les usagers, puisque l'Etat est appelé à réviser les subventions du pain, de l'huile, des carburants, du gaz, de l'électricité, de l'eau et des transports scolaires entre autres. La troisième catégorie qui sera affectée par lesdites réformes structurelles regroupe les débiteurs des banques, puisque le système bancaire tunisien est malade, selon l'agence de notation américaine Moody's, et doit être révisé. Toujours est-il que cette triste réalité de l'économie nationale n'a toujours pas dissuadé les politicards de leurs incessantes fourberies pour ensuite arrêter de prendre le peuple pour niais. Ils croient que le peuple est naïf parce qu'il est probe. Ils le croient stupide parce qu'il est patient. Mais le peuple vient de déjouer leurs artifices et saura tout sauver.