De notre envoyée spéciale à Amman Souad BEN SLIMANE Ce thème n'est peut-être pas nouveau, mais aujourd'hui, il est plus que jamais d'actualité. Mis à part une bonne sélection de films, une exposition du caricaturiste jordanien pertinent, Imed Hajaj, des concerts de chants engagés, des ateliers de formation et d'échange entre professionnels du cinéma, la quatrième édition de Karama, Festival du film des droits de l'Homme, organisé par «Ma3mal 612», se devait d'aborder le thème du moment : Les médias en périodes de crise. C'était dimanche dernier, à Amman, dans le cadre d'un colloque qui a eu lieu dans un hôtel de la place, situé à côté du Centre culturel Royal, partenaire de Karama. Des journalistes, des activistes en matière de droits de l'Homme et des experts en analyse de contenu des médias sont venus, de différentes régions du monde arabe et du continent européen, échanger leurs points de vue concernant l'impact de la propagande médiatique, de l'audiovisuel et de l'internet, associés aux différents scénarios de crise. Traiter d'un tel sujet n'est peut-être pas nouveau. Mais, aujourd'hui, alors que le monde vit un drôle de tournant, que le mot « dignité » ou « Karama » est désormais prononcé comme un slogan, que certains pays arabes passent par une période difficile de transition démocratique, que d'autres ont carrément basculé dans une guerre atroce, ce thème est plus que jamais d'actualité. Nul n‘ignore que les médias, audiovisuels surtout, ont un impact important sur les populations et que les régimes totalitaires les utilisent pour leur propagande politique. Jusqu'à la veille du départ de Moubarak, ou de Ben Ali, un certain janvier 2011, les médias officiels faisaient de l'intox et détournaient la réalité des évènements. Le même scénario s'est reproduit en Libye, puis en Syrie. Alors que le sang coule à flots et que des citoyens sont tués sauvagement, les médias prétendent le contraire. Un des films projeté en première mondiale à l'occasion de Karama4, et qui s'intitule : « L'hiver dernier » de l'Egyptien Ibrahim Batout, en témoigne. Ce dernier a su jeter un coup d'œil sur le rétroviseur pour dénoncer la manipulation de l'information exercée par certaines télévisions. D'ailleurs, c'est en ces périodes-là, d'éveil subit des peuples arabes, de contestations et de soulèvements que le journalisme citoyen a pris son envol. Mais qu'en est-il, aujourd'hui, du discours médiatique ? Qu'est-ce qu'on appelle un journaliste professionnel ? Est-il suffisamment préparé aux différents scénarios de crise ? Et même dans les pays démocratiques, arrive-t-il à maîtriser son message et à gérer ses propos en période d'après-crise ? Qui sont les journalistes citoyens ? Devraient-ils être formés aux règles de base du journalisme ? Le rôle des intervenants au colloque n'était pas d'offrir une panoplie d'outils qui pourrait aider à concevoir et à mettre en œuvre une stratégie de communication efficace et intègre. Leur rôle était, plutôt , celui d'analyser différentes couvertures médiatiques associées à ces scénarios de crise ou de guerre, pour prévenir contre l'enlisement, le faux et l'usage du faux, et surtout, dénoncer les atteintes aux droits de l'Homme. Rod Stoneman, directeur de l'institut Huston des films et des médias numériques, à l'université nationale de l'Irlande, a analysé des images de la presse européenne et américaine qui scénarisent la vérité selon leurs opinions et enjeux politiques. Il a entre autres donné l'exemple de Saddam, à l'époque où il était détenu chez les Américains. Les images du dictateur irakien, où il était presque nu, ou dos au mur, ouvrant la bouche à une blouse blanche qui semblait le consulter, ont fait le tour du monde. Le message était clair : on voulait l'humilier. Dans une deuxième partie du colloque, Stoneman a évoqué le journalisme citoyen. Il nous a montré des images des plus choquantes, filmées par un téléphone mobile. Il s'agissait de terroristes islamistes syriens, qui jetaient, sans scrupule, des cadavres, dans une rivière, par-dessus un pont. La question était de savoir où se trouvent le pont et cette rivière ? La « démonstration terroriste » manquait d'informations. On ne pouvait, en aucun cas, s'en contenter pour trouver les victimes de leurs sauvageries. A son tour, Mohamed Chamaa, journaliste jordanien, spécialisé en droits de l'Homme, a fait défiler sur l'écran des dizaines de titres et de manchettes de journaux qui portent atteinte à la dignité des réfugiés syriens en Jordanie. Nous lisons entre les lignes que ces derniers constituent une menace pour la tranquillité du royaume. La ségrégation bat son plein. On dirait que l'on veut isoler ces innocentes victimes de la guerre syrienne et que l'on fait tout pour qu'elles ne s'intègrent pas dans la nouvelle société où elles se trouvent. «Ces journalistes qui persistent et signent sont à blâmer», insiste l'intervenant. Il est urgent, ajoute-t-il, d'élaborer un code qui organiserait le travail de la presse. «Il n'est plus possible de fermer les yeux sur cette "promotion de la haine" dont nous, autres, payons les frais». A la fin du colloque, le micro a été donné à Hana Riyadh de «Voice project». Celui-ci s'occupe à porter haut et fort la voix des réfugiés syriens en Jordanie. Après un bref aperçu sur les activités qui ont lieu dans le cadre de ce projet, Hana a lancé un appel aux autorités de son pays : «On doit apporter aux réfugiés tous les soutiens juridiques et psychologiques nécessaires à leur survie». Par la suite, la jeune Jordanienne nous a proposé un reportage filmé sur leur condition de vie, mené par une de ces syriennes qui avaient suivi une formation en journalisme citoyen. Cette dernière était présente au colloque pour témoigner. «Le projet Voice m'a redonné confiance en moi, a-t-elle avoué. Il m'a aidé à retrouver ma dignité». Le témoignage était tout simplement émouvant. Surtout, après toutes ces images choquantes qu'on venait de voir.