De notre envoyée spéciale à Amman : Souad BEN SLIMANE Si on observe la concentration naturelle de ces deux associés dans le laboratoire des idées «Ma3mal 612», l'extrême attention qu'ils ont pour leurs invités, la gentillesse empressée de leur équipe, on a vite le sentiment que leur festival n'est pas ordinaire Sawssen Darwaza est une femme de théâtre qui a à son actif une quinzaine de créations dont elle a signé la mise en scène. Hyperactive, elle touche à tout. Identités, un des documentaires qu'elle a écrit et réalisé, a obtenu deux fois le premier prix dans des festivals internationaux. C'est en participant au premier festival du film des droits de l'Homme, organisé au Bahreïn, qu'elle a eu l'idée de créer une manifestation du même genre, appelée «Karama». Dans ce festival qui a eu lieu à Amman, et qui vient de clôturer sa quatrième édition (voir nos articles parus les 7, 12 et 13 décembre 2013), la Tunisie, une des destinations favorites de Sawssen, était présente avec 4 courts métrages : Selma de Mohamed Ben Attia, Les souliers de l'Aïd de Anis Lassoued, Le printemps arabe de Zachary Kerschberg et Ennajah de Chiraz Bouzidi. Etre une amie fidèle du milieu théâtral tunisien ne l'empêche pas d'être à la page concernant nos nouveautés cinématographiques. Nous avons rencontré la directrice de Karama, plusieurs fois auparavant, et plus précisément aux JTC (Journées théâtrales de Carthage). Et, c'est en septembre dernier, lors de la deuxième édition de Human screen festival, organisé par Elias Baccar, que nous l'avions revu. Accompagnée de son complice, le cinéaste Iheb Al Khatib (directeur artistique de Karama), elle nous a mis au courant de ses activités et de son festival qui fait contagion dans le monde arabe. Aujourd'hui même, les deux associés inaugureront la première édition de Karama Palestine. Au mois de mars prochain, ce sera au tour de la Mauritanie. Ma3mal 612 est en pourparlers pour Karama Egypte et Karama Maroc. Mais pour ce qui est d'Amman, Sawssen et Iheb veulent prendre un temps de réflexion avant de passer aux préparatifs de la cinquième session. Le bilan est positif Devenus membres du réseau mondial des films, les deux artistes n'ont pas eu de difficultés à faire une bonne sélection. Ils avaient même l'embarras du choix. «Cette année, avoue Sawssen, suite à l'appel à participation, nous avons reçu 600 films, du monde entier». Et de continuer, «Karama n'est plus un événement, mais un projet à part entière». Il semblerait que dans d'autres festivals qui n'ont rien à voir avec ce genre-là, la programmation est de plus en plus axée sur les droits de l'Homme. «Désormais, nous sommes cités comme une référence en la matière», rétorque Iheb Al Khatib. Il y a aussi le volet ateliers et formation qui a fait de Karama un espace important de rencontres, d'échanges et de production. Le projet «cinéma sans frontières» a formé une vingtaine de jeunes de différentes nationalités, qui devraient bientôt lancer leur propre manifestation. A l'occasion de cette quatrième édition du film des droits de l'Homme, «Karama Atelier» a produit quatre films, dont l'un est signé Iheb Al Khatib et a été projeté à Tunis, en septembre dernier. Il s'agit de T'a a marboutah, qui traite de l'identité et des femmes jordaniennes, auxquelles on interdit de donner leur nationalité à leurs enfants. En évoquant les mauvais côtés de leur expérience, les deux associés ne pouvaient pas s'empêcher d'aborder le volet financier. «Nous ne recevons aucune aide de l'instance royale», dit Iheb. «Le montage financier est une entreprise difficile, qui prend tout notre temps et qui nous empêche de penser à nos propres projets artistiques», ajoute Sawssen. Cinéma «Al Khayam» A propos de projets artistiques, les deux associés comptent réaménager une ancienne salle de cinéma à Amman. Nous avons été sur les lieux. Bien qu'elle soit complètement délabrée, Cinéma «Al Khayam», qui porte le nom du poète persan, garde encore des signes de beauté. Ses colonnes sont intactes, et ses murs en faïence noire semblent résister au temps et à cette mode des multiplexes, sans âme, construits dans les grandes surfaces. Le projet ne se limite pas là. L'idée a évolué au sein de Ma3mal 612, pour devenir une cité de rêve. Tout le long de la ruelle sinueuse, où se trouve la salle, des studios d'art et de création seraient construits pour accueillir, à titre gracieux, les artistes «ouvriers» du laboratoire des idées. Les façades des boutiques de commerce authentique changeraient de look pour être en harmonie avec la cité. Tout est prêt pour redonner naissance au cinéma «Al Khayam». Le dossier design et architecture est fin prêt. Mais il faut beaucoup de moyens et la municipalité tarde à compléter le budget. «Le bail s'achève dans un mois», nous annonce Sawssen, tristement, à propos de ce projet qui lui tient à cœur. Mais si jamais ce rêve ne se réalise pas, les deux associés auraient au moins sauvé la salle de la destruction.