La biennale de Tunis de l'art arabe contemporain se tient au Palais Abdellia et au Palais Kheïreddine à la Médina de Tunis, jusqu'au 31 décembre 2013. C'est la première manifestation du genre (dans la capitale) depuis 1986, date de la biennale des arts, organisée à la Maison des Arts du Belvédère à Tunis. L'Union des Artistes Plasticiens Tunisiens (UAPT) — créée en 1969 avec à sa tête Zoubeïr Turki, Hédi Turki et autres Nejib Belkhodja et Sami Ben Ameur — a pris l'initiative, avec le concours du ministère de la Culture, d'installer une manifestation qui se veut une plate-forme de rencontres et d'échanges entre les artistes de pays arabes. Avant-propos Avant de parler de la manifestation, essayons, un tant soit peu, de définir le terme «contemporain». La notion est liée à l'histoire de l'art occidental (la notion même d'art contemporain est en crise actuellement) et s'inscrit, bien entendu, dans une autre sphère, oscillant entre ce qui se fait au présent et ce qui s'est fait dans un passé récent (associée le plus souvent à l'expressionnisme abstrait) et d'une manière plus large relié à une coupure idéologique avec l'académisme. La notion (objet à polémique) est donc, à la fois, historique, chronologique, idéologique mais aussi liée à une démarche et à une esthétique anti-académique. L'art contemporain succède à l'art moderne et veut, en quelque sorte, mettre fin à celui-ci. Donc, en art, est contemporain ce qui se fait actuellement et dans un passé pas très lointain (une œuvre des années 60 peut être considérée comme contemporaine) et qui est en coupure avec les procédés classiques et académiques. Très dur à délimiter, cette notion, ce qui soulève polémique à son propos et fait que l'on parle actuellement de la crise de l'art contemporain. D'ailleurs, on revendique de plus en plus un retour au «savoir-faire», à la technicité, quelle que soit sa forme classique ou contemporaine (numérique et autres). Pour les pays arabes et africains, c'est toute une autre histoire liée à un riche et foisonnant legs artistique mais également à un passé colonial. Certains assimilent, même, l'art contemporain, dans ces pays, à leurs indépendances...Jugeant toujours ce qui se fait dans ces pays par rapport à des concepts, une chronologie, une terminologie et une esthétique occidentales . Dans un entretien paru dans Africultures, l'esthète Nicole Guez affirmait dans ce sens: «C'est au moment où les pays africains ont acquis le droit d'être indépendants que les artistes semblent avoir, du même coup, acquis le droit d'être contemporains...Le public est passé directement de l'art africain premier (une appellation occidentale) à l'art africain contemporain sans se rendre compte que, dès les années 30 (avant les indépendances), il y a eu en Afrique des artistes qui ont travaillé d'une façon différente de ceux qui pratiquaient les arts premiers». La même chose a été avancée concernant les pays arabes. Mais qu'en est-il actuellement de cet art contemporain arabe? Voilà une bonne occasion, pour se faire sa petite idée, à travers cet événement abrité dans un pays où l'on attend toujours de voir surgir comme promis (il y a de cela des années) le musée d'art moderne (pour commencer) qui offrira un panorama sur les pratiques artistiques sous nos cieux. La biennale Un détour du côté du Palais Abdellia, jeudi dernier à 16h00, pour découvrir ce que nous ont réservé les organisateurs de la manifestation. Désertique (et ce n'est pas pour exagérer) pour un deuxième jour mais en même temps l'horaire ne s'y prête pas encore. Pas de catalogue disponible. Dans le patio du palais, une œuvre monumentale centralise l'espace. Il s'agit d'une énorme épingle fixée sur de l'herbe verte prenant la forme de la carte géographique de la Tunisie. La Tunisie verte (tounes El Khadhra) en train de se faire épingler, sommes-nous tentés de dire. Il serait intéressant d'installer cette œuvre dans un endroit public. Les salles du palais abritent les différentes œuvres des artistes sélectionnés pour l'événement: 25 de pays arabes dont certains exposent au Palais Abdellia à l'instar de Mohamed Abdallah Outaïbi du Soudan et sa veine semi-figurative, Mahmoud Gadallah de Palestine présent avec deux œuvres dont son «cri d'un peuple» sorte de gribouillage qui mêle dessin et peinture, Ahmed Jared du Maroc et ses tableaux-objets aux rappels identitaires usant de piments naturels et de fragments de marbre, Mourad Abdellaoui d'Algérie et son installation de lumière, Moussa Omar (Oman) et ses deux tableaux-sculptures (toile de jute fixée sur un support en bois et acrylique) et bien entendu des artistes de Tunisie ( une centaine en tout). On cite Mohamed Guiga, qui rend un hommage graphique aux martyrs de la révolution, El Hédi Turki représenté avec deux œuvres, Habib Bida et ses peintures abstraites, Marwen Trabelsi avec ses impressions marines (photographies), Saber Sahraoui et sa «Carte d'identité» (dessin, collage et peinture),Naceur Ben Chikh et ses intéressants graphismes numériques, Michella Marguerita Sarti et son univers pop surréaliste et d'autres artistes encore avec de la céramique, de la photographie et de la sculpture, placés, pèle-mêle, sans distinction d'âge ou de techniques (et c'est tant mieux en quelque sorte). Dans l'ensemble, on oscille entre la nouvelle figuration et l'envie de faire dans «l'art contemporain» avec des installations qui se veulent subversives (dans la forme), à l'instar de l'«installation cactus» de Asma Abdellaoui, qui tombent dans le non-sens pour finir par être insipides. La dualité identité/modernité est palpable dans les œuvres de nos invités de pays arabes et chez certains de nos compatriotes également. Côté organisation et présentation, on s'attendait à mieux pour un événement d'une telle envergure, qui est, rappelons-le encore, le premier du genre depuis 1986!! Des ratures et autres ajouts de noms viennent défigurer la présentation des œuvres et donnent une idée sur l'organisation. Un catalogue disponible sur place, avec présentation des artistes et leurs œuvres est indispensable, voire nécessaire pour le grand public dans un pays dépourvu, entre autres, de musée d'art moderne. Cette biennale qui, comme l'a expliqué Backer Ben Frej, cadre avec les objectifs de l'Union des Plasticiens Arabes, (une initiative du Koweit dont le statut final de la création sera prêt en février 2014 afin de réunir tous les artistes arabes) et semble occulter un peu, le large public (problème de communication aussi) et accorder plus d'importance à la nécessité de rapprocher les artistes arabes. A l'instar d'autres manifestations, sous nos cieux, qui se font dans la hâte, dans la nécessité et l'urgence du « faire », cet événement, dont l'appellation et les objectifs portent de grandes promesses et ambitions, et nécessitent de grandes exigences, nous renvoie à d'autres grands rendez-vous autour de l'art, tels que la grande biennale d'art contemporain de Dakar. Dommage que cet événement ait manqué son lancement et sa création et soit passé presque inaperçu.