Par Noura BORSALI Qui a entendu parler du Comité supérieur des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (Csdhlf) après le 14 janvier 2011 ? Très peu de monde, sans aucun doute. Cette institution nationale consultative créée en 1991 par Ben Ali n'a pas réussi, dans la Tunisie de l'après 14 janvier, à connaître un nouvel élan et à soigner son image souffrant d'un discrédit aux yeux de l'opinion publique nationale et internationale. Relevant jusqu'à ce jour, et en attendant la révision du cadre juridique la régissant, de la présidence de la République, elle ne semble pas être une des priorités de la politique présidentielle. Durant les trois dernières années, elle a vu se succéder trois présidents (!). Cette instabilité à la tête du Comité a approfondi la crise dans laquelle elle n'a cessé de s'enfoncer si bien que, pendant quelques mois, elle fut dirigée par son S.G. inamovible du fait que son staff administratif a été réduit ou a changé pour des raisons que nous ignorons. Le choix, en juin 2012, du nouveau président du Comité par le Chef de l'Etat a porté sur Mr Hachemi Jegham, militant des droits humains et compagnon de route et de combat du Président Marzouki. La nouvelle composition du Comité n'a vu le jour que le 23 octobre 2012 et n'a été publiée dans le Jort que le 27 novembre 2012. La première réunion du Comité ne s'est tenue qu'au mois de décembre 2012. Cette nomination a été à la fois appréciée et décriée. Certains l'ont jugée positive compte tenu de l'engagement passé et de l'intégrité du président, alors que d'autres y ont vu une nomination basée sur des relations personnelles. Peu importe cela car le grand acquis fut, d'une part, la pluralité qui caractérise sa composition puisée, pour ses membres votants, dans une société civile indépendante vis-à-vis du pouvoir exécutif et, d'autre part, l'engagement indéfectible de ces derniers pour la cause des droits humains. Tout cela donnait à voir ou à prévoir la naissance d'un dynamisme qui redorerait le blason de cette institution ayant connu, par le passé, d'énormes défaillances dues à l'absence d'indépendance vis-à-vis du président de la République, à une pluralité factice, à la limitation de ses attributions et de ses actions, à l'insuffisance de son budget ainsi que de ses ressources humaines et de ses moyens de travail, à l'absence d'indépendance au niveau du recrutement du personnel etc... Autant de défaillances relevées dans un article fort intéressant rédigé par un de ses trois derniers présidents, Mr Farhat Rajhi, qui n'est resté que deux mois à la tête de cette institution dont la mise à niveau restait, pour lui, une priorité. Cet état alarmant du Comité nécessitait une réforme radicale comprenant l'élaboration d'un nouveau texte juridique qui repréciserait ses attributions, son statut, son fonctionnement, son budget, la composition de ses membres, ses relations avec les différents pouvoirs, avec la société civile et aussi avec ses partenaires internationaux dont certains œuvrent aujourd'hui pour sa mise à niveau conformément aux principes de Paris etc... Mais, en attendant cette réforme qui nécessite du temps, le nouveau Comité est appelé à travailler en tenant compte désormais des cadres juridiques de Ben Ali et avec une administration opaque et réduite à un seul cadre : le S.G. recruté par Rachid Driss, il y 14 années, et ne répondant aucunement au profil d'un administrateur d'une institution nationale de droits humains de l'après 14 janvier. Les positions de ce dernier en faveur de la politique des droits de l'Homme de Ben Ali et sa manière de gérer le Comité le desservent et ont poussé des membres du Comité à demander son remplacement. D'autant qu'en l'absence quasi-régulière du président du Comité, le S.G. a vu ses responsabilités grandir et son pouvoir se renforcer. Cet état de fait inacceptable est aggravé par une gestion du président jugée autoritaire par certains membres du Comité. Ce dernier ne cherche en aucun cas, comme ses deux prédécesseurs, à réfléchir à la mise à niveau de cette institution qui lui permettrait de fonctionner autrement et de se doter d'un nouvel élan, ni à démocratiser l'institution, encore moins à apporter un quelconque changement administratif qui permettrait de rénover les méthodes de travail et la gestion d'une administration sclérosée. Pourtant, le règlement intérieur autorise le président du Comité ou le tiers des membres votants à amender ce texte afin d'introduire des modifications quant à la manière de fonctionner. Nous vivons aujourd'hui au sein de cette institution un statu-quo qui paralyse le dynamisme de cette institution appelée à jouer un rôle important dans cette période de transition démocratique. C'est pourquoi des membres ont proposé, au sein même du Comité, quelques changements dont le départ du S.G. Face au refus du président, ils ont transmis fin mai leurs doléances écrites et orales au Chef de l'Etat lors d'une entrevue qu'il leur a accordée à leur demande. Mais jusqu'à ce jour, leurs doléances sont restées lettre morte. Devant ce silence et ce qui pourrait s'apparenter à une indifférence incompréhensible, voire insupportable, ces mêmes membres ont tenu une conférence de presse jeudi 12 décembre, que La Presse a couverte, afin d'alerter l'opinion publique et les autorités compétentes de l'urgence d'opérer une réforme immédiate du Comité. La réaction du président du Csdhlf ne tarda pas à venir, par le biais d'un communiqué, envoyé à la TAP la veille de la conférence de presse, signifiant que les membres en question « sont considérés comme démissionnaires du fait de leurs absences, et que des procédures juridiques et autres sont en cours pour les remplacer » (!). Cette attitude venant d'un défenseur des droits humains dans une Tunisie qui aspire profondément à rompre avec ces tristes méthodes, a choqué parce qu'elle reproduit une pratique de l'ancien régime dont nous avons tant souffert et dont nous voudrions nous défaire. Au lieu de la négociation et du dialogue, on opère par des mesures, le moins que l'on puisse dire, punitives et répressives « légitimées » par des textes datant de l'époque de Ben Ali. Et revient au galop cette question incessante : que faire face à tant de décrépitude de nos institutions nationales et à tant d'indifférence des gouvernants ? La Tunisie de l'après 14 janvier 2011 se doit d'appliquer la bonne gouvernance et la transparence pour rénover ses structures et leur donner un nouveau souffle répondant aux exigences d'une période transitoire où l'heure devrait être à la reconstruction. Alors, de grâce, sauvez cette institution et donnez-lui les moyens de gagner ses paris : effectuer des missions d'enquête et d'investigation portant sur les violations des droits humains, aider les citoyens et les blessés de la révolution à recouvrer leurs droits légitimes, visiter les prisons et les centres de détention et d'autres organismes afin de contrôler l'application de la législation nationale en matière de droits de l'Homme, diffuser la culture des droits humains, donner son avis sur les textes juridiques proposés par le pouvoir législatif, accomplir l'adhésion de la Tunisie aux instruments internationaux des droits de l'Homme etc.... Pour relever tant de défis, il faut une réforme immédiate du Csdhlf en rénovant son administration demeurée somme toute archaïque, et en redynamisant sa direction pour que le Comité sorte de son silence face à toutes les questions qui préoccupent les citoyens et qui relèvent de sa propre compétence. Alors, Monsieur le président de la République, OSEZ apporter des changements qui donneraient à cette institution relevant de votre autorité un regain de crédibilité et d'efficacité indispensables à tout changement auquel nous aspirons ! Alors, encore une fois, osez, Monsieur le président !