Par Khaled TEBOURBI Nos amis économistes (qu'ils en soient remerciés) se dépensent sans compter pour éclairer l'opinion publique sur les dangers gravissimes qui menacent notre économie. Le vocabulaire employé et les raisonnements tenus ne sont pas forcément à la portée de tout le monde, mais les Tunisiens, qui vivent et endurent la situation au concret et au quotidien, saisissent parfaitement ce qu'on veut leur expliquer. Ils sont au cœur de la tourmente : pouvoir d'achat en nette régression, salaires à l'arrêt, chômage en hausse, pauvreté, inégalités. Tout un malheureux vécu, subi, reçu de plein fouet, l'allusion aux chiffres, aux prévisions et autres agences internationales de notation n'y «ajoute» ni n'y «retranche». Il en est ainsi de la Tunisie de l'après-révolution, voilà tout. Mais pourquoi? Pourquoi en moins de trois années, le pays a-t-il basculé dans un tel état de délitescence? Les mêmes économistes servent, à peu près, les mêmes réponses. C'est ou la faute au gouvernement de la transition, ou la faute à la révolution, ou au concours des «deux à la fois»... Cela paraît tomber sous le sens. Le gouvernement de transition porte «la responsabilité de l'échec», parce qu'il a manqué «d'expérience et de compétence», «parce qu'il n'a pas su faire les bons choix». La révolution, pour sa part, a généré un excès de revendications sociales, et «une explosion libertaire» qui a vite fait de mettre à mal nos équilibres socio-économiques et budgétaires. La réalité est, probablement, tout autre... Il est, surtout, «une hypothèse» que peu de spécialistes ou d'observateurs osent encore mettre en avant: c'est celle d'une gouvernance de transition qui, à la base, dans son projet même, n'avait pas la moindre intention de s'occuper des problèmes de notre économie. Le déroulement des «faits», depuis les élections du 23 octobre 2011, et l'arrivée de la Troïka l'indiquent sans trop «d'ambages». Rappelons-nous bien. Il y a eu d'emblée une Constituante à majorité qui s'est «auto-décrétée» Parlement législateur sans limites et sans délai. Il y a eu, dans la foulée, la désignation d'un exécutif aux pleins pouvoirs en lieu et place d'un gouvernement de simple gestion courante. Il y a eu, partant, ce qui ne cesse de miner le processus révolutionnaire et démocratique jusqu'à nos jours : «l'entrée en jeu» de la question identitaire et religieuse, de l'islam politique en un mot. C'est de ce flagrant «renversement institutionnel» (que M.Iaydh Ben Achour a qualifié, à juste titre, «de véritable coup d'Etat») que tout a résulté. Les interminables controverses sur la chariâa et les principes universels des libertés et des droits, les lenteurs et les fréquentes interruptions dans l'écriture de la Constitution, les blocages sur l'Isie, sur l'indépendance de la justice et des médias, voire petit à petit et, subrepticement, la prolifération des écoles coraniques et des associations dites de «bienfaisance», la prise de contrôle des mosquées par les groupes salafistes wahabites et puis récemment, le projet sur le retour aux «biens habous» ou encore l'adoption précipitée d'une loi de justice transitionnelle résolument orientée vers la réparation «des préjudices» causés aux détenus islamistes sous les régimes de Bourguiba et de Ben Ali. Pour tout dire, priorité absolue à «l'islamisation de la société» et travail de sape, en concomitance, de tous les supports et les acquis de l'indépendance et de la modernité dont l'économie, oui, l'économie. Voila «l'hypothèse» que nombre de nos spécialistes et analystes se gardent, curieusement, d'évoquer en toute franchise et en toute clarté. Le pouvoir qui dirige la Tunisie de la transition démocratique appartient au mouvement international des «Frères musulmans». Il ne le déclare pas dans ses discours, mais il y est en plein, à travers ses actes et ses décisions . A travers la primauté d'un projet strictement idéologique, qui vise à faire «table rase» de siècles de réalisations pour baliser la voie au retour de «La Umma» et à la dislocation de l'Etat national. Qui parle donc «d'Echec d'un gouvernement», d'inexpérience ou «d'incompétence» «d'effets dommageables de la révolution» se trompe, peut-être, de diagnostic. Ou pis, se refuse à regarder bien en face les terribles réalités. La Tunisie qui s'apprête à accueillir l'année 2014 court assurément de graves dangers économiques, mais elle gagnerait sans doute à inverser l'ordre des solutions: se sortir d'abord de la dérive religieuse dans laquelle l'entraîne l'Islam Politique, l'économie et tout le reste repartira du bon pied. Aussitôt ! Ipso-facto.