Dans le flux d'édition et de réédition de livres sur Bourguiba, que connaît la Tunisie depuis la révolution, un ouvrage se démarque du lot. Non pas par la rigueur de sa démarche scientifique. Ni par «l'objectivité» de ses données et révélations recueillies au long fil de recoupements. Mais plutôt par l'autre revers de ces critères. Habib Bourguiba Jr. Notre Histoire (Cérès Editions, 2013) est basé sur une série d'entretiens, treize en tout, réalisés entre 2002 et 2006 par Mohamed Kerrou, professeur de sciences politiques, à «Bibi», le fils unique du président Bourguiba. C'est justement l'émotion qui se dégage d'un ouvrage passionnant et très bien conçu par l'auteur et son éditeur, qui donne de la profondeur à Habib Bourguiba Jr. Notre Histoire. La relation de confiance qu'a réussi à établir Mohamed Kerrou avec son interviewé a permis le dévoilement du fils du «Combattant suprême». Et si en gros, le livre ne révèle pas grand-chose de nouveau sur le père, son plus grand apport est de nous faire découvrir le fils. Sa relation très ambigüe avec un géniteur dont il se sentait «orphelin» à force d'exil et d'emprisonnement dans les geôles françaises au départ, de responsabilités politiques, d'absences répétées puis de divorce de Mathilde, la première épouse, ensuite. Au fil de l'évolution chronologique de l'ouvrage, le lecteur saisit toute la richesse de la carrière d'un homme disparu en 2009, sa grande culture, l'intelligence de ses initiatives sur le plan diplomatique notamment, le poids des hommes politiques qu'il a approchés et côtoyés, comme de Gaulle ou Kennedy, l'importance des évènements politiques à l'intérieur et à l'extérieur de la Tunisie qu'il a vécu en tant que témoin actif de l'histoire du monde... L'on découvre également son abnégation face à la République, sa fierté par rapport au statut personnel des femmes tunisiennes, son éthique, notamment sur le plan financier, son étonnante méfiance du politique. A l'ombre du père mythique, immense, charismatique, mégalomane, autoritaire, la vie du fils est passée quasi inaperçue. Sans la moindre autoglorification, ce livre rend justice à un acteur majeur de la modernité tunisienne.