Depuis l'enclanchement de la révolution tunisienne, peu de peintres auront, finalement, entretenu des relations privilégiées, avec elle, sur le plan de la visibilité, même idéalisée. Les photographes, par contre, ont, tout de suite, profité de cet événement extraordinaire, pour acquérir ce privilège du «pouvoir des images». Et ce fut une manière de se «venger» des peintres qui utilisaient leur médium d'une manière éhontée, pour rendre plus «réaliste» ou «hyperréaliste» ce sens de la visibilité. Alors que ce dernier n'avait été considéré jusque-là — et, particulièrement, durant le règne de la dictature — que comme le parent pauvre des arts plastiques et même graphiques, si l'on pense aux techniques de la gravure. Le pouvoir des images, c'est ce qui a fait toute la force de la révolution tunisienne, à travers ses «riches heures» comme durant ses abattements, grâce à l'aide précieuse et inespérée des nouvelles technologies qui ont semé à tout vent sur la planète entière, ces graines de «folie» salutaire, pour les peuples assoiffés de liberté. Cette petite digression, chers lecteurs, pour vous signaler la présence d'un peintre, Tarak Fakhfakh, dans un nouvel espace, le Tirangle d'Art encore très peu connu du grand public, et qui a entretenu justement des relations privilégiées avec la révolution tunisienne et qui expose des huiles sur toile de grands formats et d'une majesté inouïe. Les mythologies personnelles de Tarak Fakhfakh Tarak Fakhfakh est un artiste originaire de Kairouan, à la cinquantaine révolue et que nous avions découvert dans un premier temps, à la M.C. Ibn Khaldoun en 1987. Et depuis, quel chemin parcouru dans son art avec, comme condition sine qua non, la sincérité et le savoir-faire jusqu'à son départ pour l'Amérique du Nord! L'apprentissage, la quête du savoir, tout cela est dans la pluridisciplinarité : les mathématiques, le génie civil, l'aquarelle, la gravure, les huiles, le design et enfin, la photographie. Tous ces domaines, ces techniques auront servi à forger la personnalité de Tarak Fakhfakh, artiste tuniso-canadien de retour au bercail, et qui aura été donc un témoin privilégié de notre révolution qui, elle, n'a pas encore dit son dernier mot. Les 23 œuvres peintes, notamment les grands formats qui se côtoient sur les cimaises du Triangle d'Art, sont comme autant de fenêtres ouvertes sur une réalité non figée des scènes fortes de la révolution tunisienne. Il y a comme «une impermanence» des choses après laquelle son écriture plastique ne cesse de se développer de l'une à l'autre des toiles. Et quel travail! Quelle façon de narrer ou de symboliser, surtout lorsque l'artiste intervient, dans des scènes historiques —lyriques ou dramatiques—, pour les rendre mythologiques mais de mythologies personnelles tirées du répertoire patrimonial ancien. Notamment le côté bestiaire, avec la présence du cheval et du bélier ou même de quelque ange séraphique, tout cela mêlé à des figures de proue de cette révolution. «Le martyre de Chokri Belaïd» bien sûr; «les charognards de la révolution»; «le désarroi du peintre» (son autoportrait dans la plupart des scènes peintes); «une scène du 14 janvier 2011»; «l'immolation» et bien d'autres œuvres autour du religieux qui cherche à usurper le pouvoir, l'inconscient politique, les citoyens tunisiens qui s'organisent et cette Tunisie qui souffre comme une bête de somme depuis longtemps mais qui jamais ne périt. Il y a dans ces mises en scène d'un pur réalisme, peintes à travers des concepts académiques, à l'ancienne, des séquences d'une grande modernité car l'artiste intervient souvent au niveau du support en brossant des effets de mouvement et de gestualité, pour exprimer ce sens de l'impermanence des situations. Des œuvres peintes avec une grande sobriété, jouant sur les multiples plans comme à travers les effets de miroir et ou musiquent les couleurs d'une manière funèbre lorsqu'il s'agit du sang (le rouge), le noir pour le deuil ou extatique, à travers des chromatismes aux couleurs chaudes lorsqu'il s'agit du «sauvetage de la Tunisie» et de l'espoir retrouvé. Tarak Fakhfakh ne pense pas ses images même si ces scènes ont un rapport avec l'authenticité. Il les sent plutôt en y adjoignant l'ordre du sacré. C'est une vision très personnelle qu'il se fait, par rapport à la scène vue ou entrevue. Et par ses rajouts, il cherche à nous apprendre à déchiffrer à notre tour. C'est pourquoi nous disions qu'il fait partie des rares peintres à entretenir des relations privilégiées avec la révolution. Du beau travail et un témoignage sincère d'un artiste-artisan où prévalent la manutention, le travail manuel et inspiré! ————— (*) Galerie le «Triangle d'Art». Résidence Le Golfe. Route de Gammarth. Cité Ettabak (42070). La Marsa. Tél. : 94.100.688 - 25.250.095.