Il y a quelques mois, au printemps 2012, le poète Moëz Majed publiait un texte intitulé Gisants. Ami des rencontres entre les différents métiers de l'art, son livre, aux éditions Fata Morgana, se présentait sous la forme d'un mariage entre poésie et calligraphie... Et il s'interrogeait alors sur la question de savoir si son poème aurait un prolongement ou si, au contraire, il en avait fini, pour ainsi parler, du dire qui le travaillait... Il avouait être incapable de se donner la moindre réponse. Cette réponse, il nous l'apporte aujourd'hui à travers ses Chants de l'autre rive. Le texte, non seulement reprend l'ancien pour en faire ses cinq premiers chants mais, de plus, il reconduit la collaboration entamée lors du premier travail, aussi bien avec le calligraphe Nja Mahdaoui qu'avec l'éditeur français... Chants de l'autre rive... Mais quelle rive ? Par rapport à quel bord et en opposition à quelle terre résonne l'écho de cette autre rive ? Il semble que l'ambiguïté ne puisse être levée pour le lecteur. Déjà, dans Gisants, se laissait deviner cette présence obscure de l'Orient... D'un Orient dont les contours se révélaient cependant dans le prisme de la poésie de langue française, avec son rythme et son imagerie propres, avec les amplitudes épiques de certaines de ses figures... Mais aussi dans celui d'une âme qui, à la faveur de ce voyage, découvrait l'étendue de son appartenance à un territoire à la fois physique et métaphysique, où domine l'ocre des espaces désertiques... L'Orient est aussi celui de ses désirs. Ce qui fait signe vers cette partie non domestiquée de soi, rebelle à tout ordre et à tout ordonnancement. Mais, précisément, ce territoire indocile au cœur de soi, le poète pouvait-il le rencontrer dans toute son altérité sans passer par le détour d'une « habitation » dans l'élément d'une poésie étrangère... ? Il le confie lui-même autour d'un café : « J'aime les grands textes, ceux de Claudel ou de Saint-John Perse, ceux de T.S. Eliot... » Les grands textes, en somme, qui entraînent loin. Loin de chez soi ! On ne saurait affirmer que le lieu du poème auquel nous invite Moëz Majed est précisément, plutôt que de l'entre-deux, celui du va-et-vient entre les deux rives. Mais ce qu'on peut affirmer, c'est qu'à le lire, on est bel et bien pris dans ce mouvement... Ce qui n'empêche d'ailleurs pas qu'y gronde une colère qui fut peut-être aussi celle de la rue, il y a de cela un an, après que le sang coulât sous le coup d'une main assassine et que la terreur menaça de prendre ses quartiers parmi nous : « Oui, nous avons vu la horde barbare déferler sur nos villes, mais de grandes renaissances couvaient déjà sous nos morts »... Ces Chants de l'autre rive sont en effet, et dans le même temps, un manifeste poétique qui clame l'attachement aux « terres sobres », face aux « nuées des oracles grégaires portant paroles apocryphes au rang des grandes tables de loi »...