Une perte fiscale évaluée à 1,2 milliard de dinars tunisiens dont 500 millions de dinars de droits de douane «Les valeurs humaines universelles sont celles qu'on ne passe pas en contrebande de pays en pays, car elles ne rapportent rien», disait Stanislaw Jerzy Lec dans son livre «Nouvelles pensées échevelées». Cette citation reflète bel et bien l'actualité tunisienne. En effet, ces dernières années, tout le monde est quasi certain que derrière la contrebande qui prolifère sur nos deux frontières terrestres, les malheurs du peuple tunisien prennent racine. Outre le manque à gagner que génèrent ces activités illégales sur notre économie nationale, voilà que tous les experts en matière de sécurité ont fini par trouver des connexions avec le terrorisme qui sévit dans la région et les activités de contrebande qui alimentent le commerce parallèle sous nos cieux. C'est dans cette optique que l'Union tunisienne de l'industrie et de l'artisanat (Utica) a organisé hier dans son siège une journée portes-ouvertes sur « le commerce parallèle et la contrebande » en présence du nouveau ministre du Commerce et de l'Artisanat, Mme Najla Harrouch, de la présidente de la Centrale patronale, Mme Wided Bouchamaoui et de deux experts de la Banque mondiale, MM. Gaël Raballand et Lotfi Ayadi, ainsi que des représentants de la douane tunisienne. Précarités des emplois générés Selon Mme Harrocuh, le commerce parallèle représente un danger pour l'économie tunisienne surtout avec l'instabilité sécuritaire que connaît notre pays durant cette période de transition démocratique. Toutefois, elle a rappelé que ce genre d'activités n'aide pas à résoudre la question du chômage vu qu'elle n'offre que « des emplois précaires » et par conséquent «elles représentent une menace pour la santé et la sécurité des citoyens». Un avis partagé par Mme Wided Bouchamaoui. Selon elle, le commerce parallèle a contribué directement et indirectement à «la disparition de certaines activités et d'entreprises formelles», tout en en créant à leur place «des emplois indécents» «Des zones de non-droit ont fait leur apparition dans plusieurs régions du pays et nous constatons avec désolation que le droit tunisien ne s'applique plus sur la totalité du territoire. La corruption envahit ces zones de non-droit et affaiblit l'autorité de l'Etat», ajoute-t-elle. Par contre, Mme Najla Harrouch a précisé que l'Etat tunisien va œuvrer pour échafauder une stratégie et un plan d'action à travers « le renforcement des moyens logistiques et humains sur les frontières tunisiennes». Toujours selon Mme la ministre, pour lutter contre le fléau qui gangrène l'économie tunisienne, «des mesures vont être prises pour réviser le cadre du régime forfaitaire » ainsi que « la réactivation du rôle du Conseil national pour la lutte contre la contrefaçon». Mais le plus important pour Mme Harrouch reste la mise en place de nouveaux schémas de développement «pour améliorer les conditions de vie des habitants des régions frontalières». «Un cancer» en métastase Pour ce qui est du volet de la contrebande, Mme Wided Bouchamaoui a rappelé dans son intervention qu'après la révolution, cette activité illégale n'a fait que «s'amplifier, et ce, au détriment de l'économie, des consommateurs et de l'Etat». «Aujourd'hui, on a besoin d'une action collective pour agir et résoudre les problèmes de la contrebande et du commerce parallèle», a déclaré la présidente de l'Utica. Selon la chef de la centrale syndicale, la contrebande est un fléau aux allures d'«un cancer» en métastase et qui ne cesse de gagner du terrain sur le territoire tunisien. « Serait-il nécessaire de rappeler que la drogue et les armes font aussi partie de ce trafic?», s'interroge Mme Bouchamaoui. De leur côté, MM. Gaël Rablalland, «Senior advisor» (conseiller sénior) auprès de la Banque mondiale, et Lotfi Ayadi, consultant auprès de la même institution ont dévoilé les résultats d'une étude de la BM mettant en relief « le commerce transfrontalier aux frontières tunisiennes». Ainsi, d'après cette enquête quantitative menée par des experts mandatés par la Banque mondiale et selon M. Ayadi, on évalue les pertes fiscales pour l'Etat tunisien à cause du duo «contrebande-commerce parallèle» à 1,2 milliard de dinars tunisiens dont 500 millions de dinars tunisiens sont des droits de douane. Un chiffre d'affaires de 1,8 MD. Pour ce qui est de la valeur du commerce parallèle et de la contrebande au niveau des frontières terrestres tunisiennes, «elle a dépassé les 1,8 milliard de dinars tunisiens. «Un chiffre qui représente plus de la moitié des échanges commerciaux officiels avec la Libye et qui dépassent ceux établis avec l'Algérie», renchérit M. Ayadi. L'étude qui s'est basée sur une enquête de terrain a aussi révélé des différences de prix majeurs entre les prix pratiqués entre la Tunisie et nos deux voisins avec d'importantes plus-values enregistrées chez les pratiquants de ce genre d'activites : en Libye (bananes, huiles de maïs et carburants) et en Algérie (climatiseurs, tabac et carburants). Nous apprenons aussi que les produits entrés illicitement de la Libye passent quasi intégralement à travers la zone frontalière de Ras Jedir, contrairement aux produits algériens où les contrebandiers suivent des routes non conventionnelles pour éviter les check-points de la Douane tunisienne. Dans le gouvernorat de Kasserine transite 50% des marchandises de contrebande en provenance du territoire algérien, souligne l'enquête de la Banque mondiale. «L'importance de ce genre de commerce trouve son explication par les niveaux de subventions des deux côtés des frontières et aussi par la quasi-absence de la pression fiscale à la consommation, surtout sur le territoire libyen», souligne M. Rablalland Pour faire face à ce fléau, l'expert a conseillé l'Etat tunisien d'adopter «une révision des prix et la libéralisation de certains produits», et ce, pour réduire les écarts appliqués entre les territoires sujets de l'étude en question. L'étude a aussi recommandé aux autorités tunisiennes d'agir pour consolider le contrôle frontalier à travers la modernisation des moyens mis à la disposition des douanes afin de limiter les nuisances du commerce illégal sur l'économie et améliorer les conditions de vie des citoyens vivants dans les régions frontalières.