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Visite guidée des Lumières
Philosophie - Entretien avec Olivier Bloch (III)
Publié dans La Presse de Tunisie le 30 - 06 - 2010

Troisième et dernier volet de l'entretien accordé à La Presse par l'éminent spécialiste français de la philosophie matérialiste: on y découvre de l'intérieur comment prend forme et s'exprime une pensée rationaliste engagée dans l'action et qui, malgré certaines limites avérées, continue de servir de référence essentielle à la culture européenne et au-delà.
L'époque classique voit les Empires soumis à une loi inéluctable de décadence et de ruine. La question, encore lancinante à l'époque des Lumières, est-elle résolue au XVIIIe siècle ?
C'est, je crois, un trait de l'époque qui nous occupe, que de voir se substituer à cette philosophie de l'histoire qui la représente comme la perpétuelle répétition de cycles de naissance, de croissance, d'apogée, puis de décadence et de ruine des civilisations et des empires, c'est-à-dire les « révolutions » au sens ancien du terme, conçues sur le modèle astronomique : celui du perpétuel retour du même au même – une nouvelle représentation de l'histoire, à laquelle contribue déjà une œuvre comme celle de Nicolas Boulanger, où l'on peut voir basculer la notion, puis une œuvre comme celle de Condorcet qui, à la fin du siècle, dans son Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain, remplace l'ancienne vision cyclique de l'histoire par une représentation du progrès perpétuel du savoir et des mœurs, qui ouvre la voie aux conceptions ultérieures.
La critique de la guerre, du droit de conquête et la politique des puissances européennes furent parmi les thèmes majeurs du débat des Lumières. Y a-t-il eu place pour le pacifisme au XVIIIe siècle, et comment, dans ce débat, les philosophes se situaient-ils?
Qu'ils aient tous tenté, chacun à sa manière, de construire sur le plan du droit international les moyens de l'instauration d'une paix durable en Europe, et dans le monde, cela ne fait pas de doute : les écrits et projets d'un Montesquieu, d'un Abbé de Saint-Pierre, d'un Mably, d'un Rousseau, d'un Kant, en témoignent. Il s'agit toutefois, dans tous les cas, quelles que soient leurs divergences, de constructions juridiques et utopiques qu'ils voudraient opposer à la dure réalité des rapports de force qui continuent de régir les relations entre les Etats, et nous savons bien, qu'en dépit des institutions et traités internationaux effectivement créés et conclus depuis un siècle, la situation n'a pas fondamentalement changé à cet égard.
Quant au pacifisme à proprement parler, terme forgé lui aussi au début du XXe siècle pour désigner au contraire des attitudes, actions et mouvements collectifs pour empêcher, prévenir les guerres, ou y mettre fin, je ne crois pas qu'il y ait eu place pour de telles attitudes au siècle des Lumières, sinon bien sûr (et je pense ici par exemple à des gens comme Voltaire ou comme Swift) pour miner par l'humour aussi bien les réalités et ressorts de la guerre, que la vanité, historiquement parlant, des théoriciens de la paix…
A propos de religion, on considère généralement que la plupart des philosophes étaient déistes. Quel rapport entretiennent les Lumières avec le christianisme ? Quel fut l'impact du matérialisme?
Le rapport des Lumières avec le christianisme est assurément essentiel, pour cette raison d'abord qu'elles sont nées et se sont développées dans des pays et des cultures où il était dominant, aussi bien sous la forme de la religion d'Etat catholique qu'il tenait dans la monarchie espagnole, et depuis au moins la Révocation de l'Edit de Nantes dans la monarchie française, que dans le relatif pluralisme et la relative tolérance consentis ou institués en Angleterre ou aux Pays-Bas.
Les Lumières dans leur ensemble se situent toujours dans une position critique à l'égard du christianisme, en fonction de ces différences mêmes : rejet dans tous les cas des absolutismes théocratiques, préférence marquée parfois pour un christianisme éclairé, prise de distance plus ou moins accentuée, y compris dans le cas des sociétés pluralistes (pensons au cas de Bayle lui-même, aux prises avec les théologiens calvinistes de son pays).
Sur le plan des idées à proprement parler, la plupart des philosophes étaient effectivement déistes, et leur déisme peut apparaître et/ou être ressenti par eux-mêmes ou leurs contemporains comme un christianisme bien compris, avec toutes les ambiguïtés que cela peut comporter : pensons là aussi au cas de Bayle, dont on n'a pas fini de se demander si son scepticisme affiché revient à un antichristianisme inavoué parce qu'inavouable, ou à un fidéisme sincère, ou au cas de la religion de Rousseau, et de sa Profession de foi du vicaire savoyard.
Le matérialisme, lui, était carrément inavouable comme tel, et a dû emprunter, on va y revenir je crois, des voies plus détournées. Il n'en représente pas moins, de quelque manière qu'on la désigne (j'ai dit tout à l'heure pourquoi il ne me paraît pas suffisamment éclairant de le ranger sous une catégorie comme celle de «Lumières radicales»), une option caractéristique, et, si difficile qu'il soit, d'en juger en termes quantitatifs, assez largement répandue elle aussi.
L'œuvre du curé Meslier, publiée à titre posthume, peut-elle témoigner de la polémique antichrétienne et anticléricale de l'époque ?
Assurément !
En dépit, justement, de l'obscurité dans laquelle l'auteur a dû se tenir de son vivant (curé d'Etrepigny, où il a toujours exercé normalement ses fonctions de prêtre, il a mis le manuscrit de son Mémoire au net entre 1718 et sa mort en 1723, à l'intention de ses paroissiens et des curés du voisinage…), et dans laquelle les protagonistes de Lumières plus «modérées» l'ont tenu en ne faisant connaître de ses écrits que des extraits édulcorés (le «Testament de Jean Meslier» publié par Voltaire), son œuvre témoigne, avec une vigueur extraordinaire, de l'acuité de cette polémique, comme en témoignent la vivacité anticléricale de l'Avant-propos que j'ai cité tout à l'heure, et la virulence antireligieuse et antichrétienne qu'atteste l'intitulé de chacune des huit
«Preuves de la vanité et de la fausseté des religions » qui constituent son Mémoire — «preuves» visant à établir tout spécialement la vanité et la fausseté de la religion chrétienne, l'inanité des prétendues preuves dont elle se réclamait elle-même, à «tirer» encore sa vanité et sa fausseté «des erreurs de sa doctrine et de sa morale» (Cinquième preuve), la critique sociale et politique de ce que nous appelons aujourd'hui «l'Ancien Régime» faisant l'objet de la Sixième preuve.
La critique proprement philosophique, ouvertement athée et matérialiste, fait l'objet de la Septième preuve (« De la vanité et de la fausseté des religions tirée de la fausseté même de l'opinion des hommes touchant la prétendue existence des dieux»), et de la Huitième («De la vanité et de la fausseté des religions tirée de la fausseté même de l'opinion que les hommes ont de la spiritualité et de l'immortalité de leurs âmes»).
Bref, dans l'isolement même, géographiquement, socialement, et idéologiquement parlant (il suffit de rappeler sur ce dernier point qu'il ne disposait pour l'essentiel comme matériau philosophique que de la deuxième édition de La Recherche de la Vérité de Malebranche !) où il se trouvait, l'extrémisme des positions de Meslier est bien un témoin privilégié de l'ardeur de la polémique antichrétienne et anticléricale à l'aube des Lumières.
Aux racines des Lumières, quelle place faire à ce que vous appeliez «la tradition libertine et clandestine» ?
Meslier, justement, peut et doit être rangé dans cette tradition, avec toute la diversité qu'elle comporte.
Du côté des sources auxquelles elle s'alimentait, il s'agissait d'abord des inspirations antiques, comme le matérialisme épicurien, et renaissantes, comme le naturalisme italien, alimenté lui-même en partie aux sources de la pensée arabe médiévale («l'averroïsme latin»), inspirations dominantes chez les «libertins érudits» de la première moitié du XVIIe siècle; inspirations «modernes», comme le cartésianisme et son héritage, y compris l'héritage spinopziste, et l'empirisme britannique dans la lignée de Locke.
Du côté des formes d'expression qui en sont caractéristiques, il s'agit de formes clandestines ou marginales, comme la circulation de manuscrits anonymes ou pseudonymes, les éditions sous de fausses adresses, le recours au travestissement, à l'ironie, à la parodie, etc.
L'unité relative de cette tradition, qui se manifeste dans les renvois plus ou moins accentués des textes l'un à l'autre, allant souvent jusqu'au collage des textes entre eux, en vient à se fondre dans les Lumières proprement dites, dans la mesure même où ce qu'on appelle communément les « traités philosophiques clandestins » de l'époque qui nous occupe (pensons au cas du Traité des Trois Imposteurs – Esprit de Spinoza) sont en règle générale des textes rédigés au début du XVIIIe
siècle, qui ont circulé entre 1720 et 1770 environ, pour être repris de façon plus ou moins modifiée vers cette dernière date, et dont se sont inspirés plus ou moins un grand nombre des auteurs des Lumières.
Partagez-vous l'opinion de ceux qui, à l'instar de Todorov, inscrivent les Lumières comme apport essentiel dans l'héritage culturel européen?
Cela ne me paraît pas douteux, aussi bien à l'égard des valeurs qu'elles nous ont transmises sans interruption radicale, que des réactions, au sens propre du terme, qu'elles n'ont pas cessé de susciter, depuis les « Antilumières » du XVIIIe siècle, jusqu'à tous les « réactionnaires » de notre temps, qui se situent toujours, quoi qu'ils en aient, dans l'ordre du ressentiment…
Comment les Lumières ont-elles, selon vous, contribué à l'enrichissement de la notion d'altérité?
Il me semble assez clair que l'affirmation de l'universalité de la raison, constitutive de l'essence de l'homme, par-delà les clivages historiques, sociaux, juridiques, idéologiques, contre le principe d'autorité et à l'encontre des barrières d'ordre religieux, affirmation et prise de position qui ont fait l'objet d'une bonne part, au moins, de la critique et de la propagande des protagonistes des Lumières, constitue un apport fondamental à l'élaboration de la notion d'altérité.
Cela dit, il y a loin, bien sûr, des principes à l'application, et les positions de principe (s) ont, elles aussi, leurs limites : celle, en particulier, qu'oppose l'affirmation de la raison abstraite à la reconnaissance des spécificités historiques, sociologiques et culturelles qui sont également constitutives de la reconnaissance authentique de l'autre : cette tâche-là, dont la nécessité a commencé à s'imposer au siècle dernier, est assurément loin d'être achevée.


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