Par Khaled TEBOURBI La chaîne «Ettounssia» n'en finit décidément pas de faire parler d'elle. Après le départ intempestif de Moez Ben Gharbia et la grosse polémique qui a succédé à une (tristement) fameuse émission de Samir El Ouafi, voilà que la très populaire «Andi man quollek» vient, pour ainsi dire, clore la série : un mois de suspension, plus 200 mille dinars d'amende, décidés par la Haïca, après la plainte d'un téléspectateur «filmé sans son consentement». L'affaire fait évidemment des «vagues». C'est d'abord la première vraie sanction infligée par la Haute instance de l'audiovisuel depuis son lancement en mai 2013. Jusque-là, pour être francs, on ne comptait pas tellement sur la «force exécutoire de la Haïca». Son caractère provisoire y «invitait» déjà. L'instance prendra fin après les prochaines élections. Elle sera remplacée par une haute autorité de régulation émanant, à la fois, des professionnels et des représentants de la future Assemblée nationale . «Le provisoire» est, par principe, peu enclin aux décisions radicales. La Haïca a un peu surpris tout le monde en se montrant «jusqu'au-boutiste» sur ce dossier d'«Ettounssia». Il y a ensuite que le personnel de la chaîne a fortement réagi. Les sketches et les commentaires de «Labess», ce samedi, étaient on ne peut plus virulents à l'adresse de la Haïca! Autre sujet d'étonnement, quand on sait que la direction de la chaîne, elle-même, a accepté le verdict et appliqué aussitôt la sentence. Mais ce sont les déclarations fracassantes de l'animateur vedette de «Andi man quolletk», l'excellent Alâ Chebbi, qui donnent le mieux un aperçu de l'acuité, sinon de la gravité, de la controverse. Alâ Chebbi dit «ne pas se reconnaître dans la Haïca et ne s'en tenir qu'à l'avis de la justice». On n'a nulle envie de commenter le contenu de l'émission objet du litige. Ce serait «le discours sans fin» sur la moralité de la téléréalité. Qui ne s'y est «frotté», parmi nous, pour écoper, en définitive, de la même cinglante réponse: peut-on vraiment être juge de la moralité? Non: on fera simplement remarquer à notre bon ami Alâ Chebbi qu'en rejetant la Haica et en ne reconnaissant, en la matière, que le verdict des juges, c'est le principe même de l'indépendance de notre profession que nous remettons en question. Une instance d'autorégulation vaut largement mieux, on le sait de dure expérience, que confier nos contentieux de journalistes à des législateurs ou à des magistrats qui ne seraient pas forcément «favorables à la liberté de la presse». Avant de réagir sur un cas d'espèce, fût-il de l'importance d'une téléréalité de grande audience comme «Andi man quollek», il faut que l'on sache en général, ce que l'on veut, et ce à quoi l'on aspire dans notre métier. Là, à chaud, dans l'impulsion de la réaction, on peut fort bien insulter l'avenir et avoir demain à s'en mordre les doigts. Une haute autorité indépendante de l'audiovisuel dans la Tunisie de l'après-révolution, dans cette Tunisie un peu ballottée dans tous les sens, de la transition, ne présente certainement pas toutes les garanties d'objectivité, d'impartialité, voire d'efficacité. Réfléchissons bien cependant : cette instance, quoi qu'on en dise, procède (et procédera encore dans sa prochaine version) de notre propre choix. Elle sera élue et participative. Et elle l'est, en grande partie tout au long de cette période des débuts. La position «victimaire» qu'adopte le personnel d'Ettounssia lui vaut sans doute la sympathie du public. Mais l'affaiblissement de la Haica, le discrédit qui est ainsi jeté sur notre propre instance de régulation, peut aussi nous coûter, demain, un retour en force des bureaucrates et des censeurs de l'establishment. Le plus sage, donc, le plus prudent et le plus prévoyant : obtempérer, comme l'a fait la direction de la chaîne, et garder le silence jusqu'au prononcé final du jugement. Ne pas compromettre surtout, «pour le plaisir d'un coup de gueule», un paysage audiovisuel dont nous avons toujours rêvé, où nos radios et nos télés dirigeaient, enfin seules, leur propre maison.