Par Bady BEN NACEUR Que reste-t-il de l'œuvre de Paul Klee, un siècle après son passage en Tunisie, avec ses compagnons de parcours Macke et Moillet ? Nous avions dit, par ailleurs, tout dernièrement (voir notre rubrique in la Presse Magazine du 16 mars) que leur «vadrouille» entre Tunis, Sidi Bou Saïd, Radès, Hammamet et Kairouan — si brève fût-elle, à cause du déclenchement de la Première Guerre mondiale — avait non seulement dérangé l'establishment de l'autorité coloniale française avec sa cohorte de peintres de chevalet coupés des réalités de la métropole, mais aussi, et surtout, attiré un regain d'attention sur le nouveau cours de l'histoire de l'art moderne. Une vraie révolution (artistique) en terre tunisienne qui, grâce à ses monuments et ses sites anciens, révélant les richesses de son patrimoine à travers les multiples strates de son histoire remontant à la nuit des temps, ne pouvait laisser indifférents des quêteurs d'absolu comme ces artistes. Question d'autant plus importante aujourd'hui que l'on fête cet événement aux échos internationaux un peu partout en Tunisie. Evénement qui intéresse autant les chercheurs en histoire de l'art, les esthètes, les enseignants des Beaux-arts, les étudiants et, bien sûr, les amateurs d'art, de plus en plus en grand nombre depuis la révolution du 14 janvier. La réponse à cette question pourrait être la suivante, avec comme variantes, les suivantes : UN - Il y a eu en art, dans nos murs, beaucoup moins d'évolution chez nos artistes, qu'on ne l'aurait pensé. Et ce n'est que depuis l'ère de l'Indépendance de la Tunisie que les générations montantes ont commencé à voir en Klee et ses amis des précurseurs de l'art moderne international à partir de notre patrimoine et des recherches effrénées dans le domaine de nos artisanats (les éléments décoratifs, notamment, de la tapisserie), ainsi que des mythes et symboles encore vivaces aujourd'hui. DEUX - Un péril aussi grave que le premier — nous en avons fait l'expérience durant les quatre décennies passées : beaucoup d'artistes ont ignoré Paul Klee et ses compagnons, ainsi que Kandinsky, peu avant eux — préférant faire dans le mimétisme de la peinture coloniale, reniant subitement, depuis la révolution iranienne, l'art occidental pour s'adonner à l'art non figuratif et à la calligraphie même (modernité oblige) en se qualifiant de lettristes, vidant ainsi la lettre de son sens pour ses besoins purement esthétiques. TROIS - C'est à partir des années cinquante et soixante que le langage pictural va évoluer vers une «désarticulation» de l'espace scénographique traditionnel et cette mise en ordre des sensations telles qu'inspirées par Kandinsky, Klee, Bissière, Matisse, Miro, Micheau, pour ne citer que ceux-là, qui va changer le regard de nos artistes, le chargeant d'émotions, s'inspirant des arts «primitifs», de l'architecture, à travers des recherches de plus en plus complexes comme on le voit dans les œuvres de Nejib Belkhoudja, de Khaled Lasram. C'est à travers ces regroupements en réaction à certaines écoles officielles de Tunis ou de Paris (Groupe des six, groupe 70/80, collectifs d'Irtissem et d'Attaswir, etc.) que l'art moderne, internationalisé, va s'imposer dans nos murs jusqu'à ce jour. Quelque cinquante ou soixante ans après le passage de ces défricheurs de patrimoine (en terre tunisienne), artistes subjugués par la lumière et les couleurs de la Méditerranée !