Par Mohamed KOUKA Il a fallu attendre, depuis le soulèvement du 14 janvier 2011, plus de deux années, pour voir enfin le quatrième gouvernement provisoire daigner, enfin, faire signe aux artistes en les invitant à une rencontre protocolaire avec le Premier ministre... Initiative à mettre bien évidemment au crédit du nouveau ministre de la Culture. Rencontre néanmoins brève, mais symbolique. Le Premier ministre vous serre la main, vous regarde sans vous voir, car le poids de la charge est trop lourd, on le perçoit dans ses yeux, et le programme de la journée s'annonce rude et probablement marqué par les complications d'usage en pareilles circonstances exceptionnelles... Alors à quoi bon s'appesantir avec chaque convive et pour dire quoi, en fait ? Ceci d'abord et avant tout : la culture a partie liée avec l'éducation, pas avec les loisirs. L'éducation, c'est le moyen pour l'individu de devenir maître de son destin et de sa personne. La culture en fait un citoyen intelligent, le rend libre et lucide : c'est la clé de la démocratie et de la paix sociale. Une chose est sûre, le temps ne joue pas en faveur de ce gouvernement provisoire. C'est une course contre la montre. Il s'agit de corriger, de tenter de mettre sur des rails solides ce que les précédents gouvernements ont mal fait, raté ou, du moins, n'ont pas réussi à concrétiser par manque de savoir-faire et d'intelligence. Par excès d'amateurisme et d'ignorance... Que peut donc ce gouvernement, alors qu'il est confronté aux douze travaux d'Hercule ? (Ah, nettoyer les écuries d'Augias entre autres !) Sur le plan culturel, il peut baliser la route, sachant que la culture est le disque dur du développement économique et social. Aucun des gouvernements provisoires précédents n'a cru important de proposer une politique culturelle aux contours bien définis, esquisser une quelconque stratégie culturelle. On a même vu un des gouvernements provisoires vouloir fusionner le ministère de la Culture avec celui du Tourisme. Là, le malentendu est total mais grave. Est-il encore nécessaire de préciser que la culture n'a absolument rien à voir avec le pur divertissement. Lisons ce qu'en pense Malraux : «Je dis bien que c'est une aventure dans le domaine de l'esprit, parce qu'il faut que l'on comprenne bien que le mot ‘loisir' devrait disparaître de notre vocabulaire commun. Oui, il faut que les gens aient des loisirs, oui il faut les aider à avoir les meilleurs loisirs du monde, mais si la culture existe, ce n'est pas du tout pour que les gens s'amusent, parce qu'ils peuvent bien s'amuser, peut-être bien davantage, avec tout autre chose et même avec le pire. Ce qu'on appelle ‘La Culture', c'est l'ensemble des réponses mystérieuses que peut se faire un homme lorsqu'il regarde dans une glace ce qui sera son visage de mort ». La culture n'a de sens que si, conçue comme la possibilité d'un regard critique, elle se révèle absolument indispensable à la liberté de chacun. La culture authentique est «Protestation contre le rétrécissement insensé que l'on impose à l'idée de culture... Protestation contre l'idée séparée que l'on se fait de la culture, comme s'il y avait la culture d'un côté et la vie de l'autre. Et comme si la vraie culture n'était pas un moyen raffiné de comprendre et d'exercer la vie», Artaud dixit.