Par Mohamed KOUKA La révolution du peuple tunisien fait l'admiration du monde. Ce qu'il faut souligner avec force, c'est qu'elle n'est pas l'œuvre de caciques, professionnels de la chose politique. Non plus elle n'est l'œuvre d'un leader suprême, d'un personnage charismatique, ou d'une avant-garde guidant le peuple. C'est la jeunesse. Jeunesse cultivée, consciente, moderne, morale,qui a mené, de bout en bout, ce soulèvement , d'abord un soulèvement pour la dignité, la liberté, pas seulement pour le pain, ce qui souligne le caractère universel de ce mouvement le plaçant à l'échelle de l'histoire du monde à l'égale de la Révolution anglaise du XVIIIes, des Révolutions française et américaine qui ont fondé définitivement la démocratie comme horizon indépassable de la politique. Les jeunes et le peuple tunisiens ont compris avec une étonnante maturité que l'ordre ancien a épuisé ses potentialités et outrepassé ses limites éthiques. Ils se sont saisis d'un universel supérieur pour en faire leur but, prouvant par là que l'éducation, le savoir, la culture mènent immanquablement à la réalisation de la démocratie. Brecht disait que la culture est le superflu qui nous fait vivre .Quand on voit le monde comme il va, cette idée semble comporter une ambiguïté qui pourrait passer pour un sophisme ; même s'il voulait, en réalité, inaugurer un théâtre tendu vers une société sans classe où les hommes prendraient, par le biais de l'art, une mesure plus exacte des déterminations historiques qui régissent leur vie en commun. Le théâtre étant considéré comme un vecteur approprié pour la réalisation d'un programme censé être pertinent pour le corps social tout entier .La notion de ‘culture', si l'on se réfère à son sens ontologique, recouvre tout ce par quoi l'existence humaine apparaît comme s'élevant au-dessus de la pure animalité, et plus généralement, à travers elle au-dessus de la simple nature. Paraphrasant Antonin Artaud, je peux dire que le plus urgent me paraît pas tant de défendre une culture dont l'existence n'a jamais sauvé un homme du souci du mieux-vivre et d'avoir faim, que d'extraire de ce que l'on appelle la culture, des idées dont la force vivante est identique à celle de la faim. Cela consiste en un exercice persévérant et une pratique diversifiée des facultés de l'esprit, qui idéalement les portent à l'optimum de leur usage. Mais la culture ne peut manquer d'avoir un sens moral, d'après lequel, il appartient à l'homme cultivé d'être à la fois curieux et respectueux des autres hommes, de détester toute espèce de brutalité, et d'agir toujours selon sa conscience et autant que possible en connaissance de cause. Avec cette double dimension, la culture se distingue par principe d'un simple dressage aussi bien que d'une pure et abstraite éducation des choses. Il faut se rendre compte qu'il y a plus de deux mille cinq cents ans, en Grèce, de puissants esprits, qui étaient des esprits universels, s'étaient posés des questions essentielles concernant la vie civile, pour définir un mode de vie proprement humain, car déterminé par l'usage du discours (logos) qui fait que les hommes exposent, à l'adresse les uns des autres, des arguments sur toutes les questions engageant une utilité commune. Ce qui permet de sortir du cycle infernal de la violence pacifiant ainsi le débat public. Socrate indique la voie lorsque par ses interrogations, il contraignait ses concitoyens à révéler l'incertitude et l'incohérence de leurs conceptions. La première philosophie politique et la première philosophie de l'art se sont articulées simultanément dans un seul et même texte: «La République» de Platon. Ce dialogue pose la théorie mimétique de l'art en même temps qu'il élabore un système politique traitant de la justice et des modalités de sa réalisation à l'intérieur de la Cité. La pensée esthétique se trouve ainsi incluse au sein d'une réflexion plus large et plus concrète, pédagogique et politique. Elle naît au détour de l'examen rigoureux et approfondi du concept de justice. L'injustice et la corruption sont, pour Platon, manifestation et preuve du malheur, sous leurs avatars divers, tant individuels que collectifs. Ils ont pour cause l'excessif attachement que l'homme porte à ses appétits sensibles. En apprenant à entendre autrui En essayant de se mettre d'accord avec lui-même, il commence déjà à s'arracher à la fascination qu'exercent la passion et l'intérêt. L'art renseigne l'homme sur l'humain; il nous met en présence des vrais intérêts de l'esprit nous apprend Hegel. Grâce à l'art, nous sommes capables d'être les témoins attristés de toutes les horreurs, d'être remués par toutes les émotions violentes. L'art peut nous élever à la hauteur de ce qui est noble et vrai. Le théâtre est parfois plus réel que le réel mais il se positionne contre la déshumanisation et représente sur scène les défis des relations interhumaines. «Chaque homme disait Montaigne, porte la forme entière de l'humaine condition».Le pire d'entre nous n'échappe pas. «L'homme est une chose sacrée pour l'homme», répliquait de son côté Sénèque. Le théâtre, art de la parole et verbe en action, permet de voir, de nous voir, de ressentir et d'observer le processus de déshumanisation qui autrement serait presque invisible. «La culture peut être décrite tout simplement comme ce qui rend la vie digne d'être vécue». T. S Eliot.