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L'état de la culture et la dérive des festivals
Opinions
Publié dans La Presse de Tunisie le 23 - 07 - 2012


Par Mohamed KOUKA
A l'aube de l'indépendance, le jeune Etat était, alors, préoccupé par le souci de donner naissance à une nation moderne, ouverte sur le monde. L'objectif essentiel était de trouver les meilleurs moyens et les outils les plus efficaces afin de sortir le pays, fraîchement indépendant, du sous-développement et de l'ignorance. Parmi les premiers chantiers envisagés, viennent l'éducation et la culture, sur lesquels le gouvernement de l'époque avait parié (nous sommes en 1956-57). L'école primaire obligatoire, la nomination d'un ministre de la Culture chargé de donner une réelle impulsion aux activités culturelles, à l'animation culturelle. Il faut citer Chedly Klibi comme figure pionnière d'une politique culturelle engagée tous azimuts, ainsi que l'efficacité d'un Mahmoud Messaâdi. On a assisté, alors, à l'émergence de véritables festivals culturels, des maisons de la culture, des troupes régionales et à l'institution d'un comité culturel national sous l'autorité de Lamine Echchebbi, futur ministre de l'Education nationale. Pour la petite histoire, il est le frère du poète Aboulkacem Echchebbi. Les festivals culturels de l'époque étaient calqués sur leurs homologues européens, surtout celui d'Avignon, créé en 1947, par Jean Vilar, futur fondateur du très fameux Théâtre national populaire français. Ouvrons une parenthèse pour signaler qu'au sortir de la boucherie de la Seconde Guerre mondiale avec ses millions de morts et ses pogroms, prenant acte du terrible échec de la raison et de la rationalité issues des Lumières, les intellectuels et les penseurs de l'époque étaient interloqués. Des philosophes de l'Ecole de Francfort et son chef de file Max Horkheimer s'interrogeaient sur cette faillite de la raison. L'Ecole de Francfort s'était penchée, notamment, sur l'apparition de la culture de masse, en tant qu'industrie de loisir, et ses ravages sur le goût et l'esprit, déjà ! De leur côté, les intellectuels, les artistes de théâtre voulaient comprendre le pourquoi du désastre, le pourquoi de l'échec de la civilisation. Vilar s'est souvenu de l'exemple grec pour rappeler que la notion de service ‘public' attaché à la culture constitue une exigence démocratique référentielle fort ancienne : déjà sous Périclès, Athènes pratiquait le droit au subventionnement direct du spectateur peu fortuné pour l'aider à assister aux spectacles. Le théâtre tragique est typique de la ‘polis' démocratique. Faut-il rappeler que la tragédie et la philosophie se sont épanouies à la faveur de la démocratie. Mais revenons au Festival d'Avignon et à son fondateur ; Vilar, suivant l'exemple grec, croyait en la vertu éducative, instructive, récréative de la représentation théâtrale qui permet la rencontre, favorise le débat et le dialogue. Depuis, le festival d'Avignon n'a jamais dérogé à cette règle civique mais esthétique. Il demeure le lieu du questionnement, l'interpellation des consciences jusqu'au jour d'aujourd'hui. Cette année, il y est question dudit «printemps arabe». La représentation théâtrale devant permettre au public de venir préciser sa conscience, selon le mot de Vilar, prendre la parole et penser le réel avec exigence, dans un lieu de grande liberté, c'est cela l'enjeu culturel essentiel !
Nos festivals, à leurs débuts avaient tenté de s'inscrire dans cette démarche citoyenne : la programmation du Festival de Carthage se faisait essentiellement autour de la représentation théâtrale à laquelle venait s'ajouter quelques variétés de qualité, de la danse classique avec Maurice Béjart, Alvin Ailay, etc. Du jazz qui avait fini par avoir son propre festival. Le festival international d'Hammamet était tout à fait consacré au théâtre, favorisant la rencontre entre praticiens, critiques, poètes, écrivains et autres chercheurs, histoire de prolonger le dialogue entre une œuvre et la société. Feu festival de Dougga était entièrement consacré au théâtre avec ses spectacles crépusculaires commençant juste avant la tombée de la nuit (belle trouvaille).Le Festival maghrébin du théâtre à Monastir était un rare moment de rencontre, d'échange, de débat, entre artistes maghrébins. Ces festivals ont fonctionné plus ou moins efficacement jusqu'à l'arrivée au pouvoir de Ben Ali. Et là patatras. Tous les festivals, je dis bien tous les festivals ont viré leur cuti, balancé par-dessus bord toute prétention culturelle et velléité spirituelle. Course à la variété. Objectif : divertir, amuser le peuple durant les mois d'été au lieu de le laisser ruminer je ne sais quelle mauvaise pensée. On a pu voir, alors, le Comité culturel national se transformer en boîte d'imprésarios. La chasse aux cabaretiers de l'Orient étant ouverte, on a pu, ainsi, voir des supposés starlettes chanter un soir à Carthage, et le soir suivant, animer un mariage ou une boîte de nuit.
Avec la révolution, nous avons beaucoup espéré, oui, souhaité, un changement radical de politique dite ‘culturelle' avec la réémergence d'un discours culturel réellement citoyen, digne des temps nouveau que nous vivons. Car enfin qui dit révolution, dit changement radical, jusqu'à la racine. Je dois même, avouer que quand j'ai entendu l'actuel ministre de la Culture dire qu'il préférerait «voir Nancy Ajram passer sur son cadavre que de la laisser fouler, encore une fois, la scène du théâtre de Carthage», je me suis laissé emporter par l'enthousiasme : «Miracle, le Festival de Carthage est, enfin, rendu à la culture et à la création !».La programmation de l'actuelle cession dudit Festival de Carthage m'a ramené assez brutalement à la dure réalité. Tout le programme ne tient que par la variété, c'est-à-dire par la chanson et la musique, et ce n'est pas le Boléro de Ravel qui pourrait faire illusion, point à la ligne. Le malentendu est grave. Il est entretenu par le ministère de la Culture. On nous habitue à considérer comme culture tout et n'importe quoi. Nous vivons l'ère de la consommation de masse. La culture confondue avec le divertissement, le divertissement promu au rang de la culture. Le principal souci d'un animateur, enfin, d'un directeur de festival est de remplir son espace, la variété fait l'affaire, Carthage en est le triste modèle, nul souci d'intelligence, ni de découverte par la culture; il faut fournir du divertissement, du délassement sans conséquence, de la pure consommation,trois fois hélas! Pendant ce temps, la culture continue de se marginaliser. Avons-nous besoin de tragédie, de comédie, bref d'émotion esthétique pertinente, alors que la variété nous fournit un plaisir immédiat sans conséquence? Il est vrai qu'à l'ère de la mondialisation, nous vivons ce que Gilles Lipovsky appelle l'ère du vide, assimilation du monde de la culture au monde de la consommation. C'est l'avènement de la consommation comme culture. A Carthage, qui rémunère les épigones de Ajram et autres starlettes de la guimauve ? L'argent public! En principe dévolu à la création intelligente, c'est-à-dire à une création un tant soit peu impliquée dans le réel du spectateur.
Quand aux comédiens, aux metteurs en scène, aux ouvriers du théâtre, ils peuvent toujours espérer des lendemains qui chantent...
Vous avez dit révolution ? Le ministère de la Culture ne semble pas avoir été touché par le mouvement ; nullement concerné par le souffle de l'histoire, imperturbable, son mode de fonctionnement s'inscrit dans le droit fil des précédents ministères de la Culture de l'ère Ben Ali. Un exemple parmi d'autres : avec le festival de Carthage, dont le programme demeure à l'identique des précédents, peut-être même plus discutable, jetons un coup d'œil sur ce qu'on appelle le fonds d'aide à la création. En principe ce fonds est géré par une commission qui propose une répartition de la manne, pour soutenir la création théâtrale dans le pays. Normalement, la gestion de cet argent public s'opère selon des critères bien définis, croit-on. Objectivement, aucun membre de cette commission ne devrait (au conditionnel !) figurer parmi les solliciteurs. Normalement, déontologiquement, un membre du jury ne peut pas être juge et partie. Eh bien, pas du tout, parmi les membres de ladite commission, certains, imperturbables, concourent, si je puis dire, qui avec un texte, qui avec une mise en scène, qui avec une soi-disant scénographie. Devinez comment se font, alors, les délibérations, quand un dossier où est impliqué un membre du jury passe à l'examen de l'aréopage ? En toute probité et, faisant taire tout esprit de compagnonnage, on prie le confrère solliciteur de quitter la réunion, afin d'étudier son dossier en toute sérénité, en toute objectivité, avec une intégrité et une impartialité dignes du roi Salomon. Ce fonctionnement équivoque, opaque, discutable sévissait sous l'ancien régime, il continue de sévir de la même manière sous ce deuxième gouvernement de transition.
Nous avons tellement espéré de la révolution, une mentalité nouvelle, un esprit nouveau ; la culture comme entreprise permanente de suscitation, de médiation et de catalyse sociale, une culture politique, oui politique dans sa visée, puisqu'elle doit aider le citoyen à se hisser au niveau où les intérêts, les forces, les idées s'articulent. L'action culturelle a pour rôle de recréer la socialité ; elle est par elle-même créatrice, dès lors qu'elle parvient à établir entre les hommes quelque type de rapport que ce soit.
Vous avez dit révolution ? Il faut savoir que révolution signifie une transformation radicale du système ancien, avec tout le risque que cela comporte. La liquidation du vieux monde avec toutes les conséquences attendues aussi bien qu'inattendues. Que s'est-il passé chez nous ? Il y a eu un grand soulèvement avec des martyrs, des pertes et des dégâts. Le potentat a été chassé mais le système perdure, plus que jamais, n'est-ce pas Monsieur le ministre de la Culture ?


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