• Abdelhamid Jelassi au Temps : «Ses propos ont été instrumentalisés par nos détracteurs» • «Nous voulons faire de l'Islam modéré une culture nationale» Il est ingénieur de formation. Il a fait quasiment 17 ans de prison dans les geôles de la honte de Ben Ali. Abdelhamid Jelassi aurait passé plus de temps en prison que chez lui. Il en est sorti indemne même si un méchant cancer s'est attaqué, du temps de son séjour pénitentiaire, à ses cordes vocales. De la voix et du geste il continue son combat … Il est aujourd'hui membre du bureau exécutif d'Ennahdha et directeur de la campagne du parti. Le responsable de l'organisation et de la structuration au sein du parti de Rached Ghannouchi se livre à nous dans ce raccourci pour couper court, entre autres, à des rumeurs qui courent les rues en ce moment. Le Temps : De mauvaises langues disent que les discussions entre les différents partis concernant la composition du nouveau gouvernement deviennent de plus en plus opaques d'autant plus que pour le moment c'est carrément la formule motus bouche cousue qui vous convient le plus Abdelhamid Jelassi : Rien de cela. Nous sommes toujours en contact avec les journalistes que nous informons au fur et à mesure de nos points de vue et prises de position. Mais jusqu'à présent rien n'est officiel. Ce sont de simples spéculations car le gouvernement sera nommé suite à la réunion des membres de l'Assemblée constituante, le 22 du mois en cours et non pas avant. Cela ne nous empêchera pas d'échanger des points de vue avec les différents partis pour dresser déjà l'ossature finale de ce gouvernement d'ici la fin de la semaine en cours. L'essentiel pour nous n'est pas la constitution du gouvernement en lui-même mais les tâches qui lui seront dévolues, le rôle de l'Etat dans l'économie, etc. Voilà des questions essentielles sur lesquelles il faut vraiment plancher. Est-il possible de voir Néjib Chebbi président de la République ou encore Maya Jribi, présidente de l'Assemblée constituante? Comme vous le savez le peuple tunisien a déjà fait ses choix et a déjà opté pour les personnes qui vont le représenter sur le plan politique. Mais cela ne diminuera aucunement du passé militant de Néjib Chebbi ou du combat pour les libertés de Maya Jribi . Considérez-vous qu'Ennahdha a réussi sa campagne électorale ? La réussite d'Ennahdha, à mon sens, ne se compte pas au nombre des personnes qui ont dit oui à notre parti. Notre réussite est dans la manière avec laquelle on a procédé pour réconcilier les Tunisiens avec la politique. Tout le monde parle politique aujourd'hui et c'est très bien. Nous avons réussi également à faire de la scène politique une véritable agora. Nous avons écouté les doléances des uns et des autres, nous avons fait du porte-à-porte et n'avons pas investi dans la publicité politique. Notre choix s'est plutôt porté sur les discussions avec les gens dans le cadre des meetings qu'on a organisés dans tous les coins et recoins du pays. Certains ont prétendu qu'on a demandé aux gens de voter pour nous au risque d'être condamnés par la divinité. Nous ne disposons pas de chèques pour le paradis! Les Tunisiens ne sont pas dupes de ce genre de messages naïfs et les considérer en tant que tel serait se gausser d'eux. Nous avons parlé avec le Tunisien des écoles très lointaines, de l'infrastructure à revoir, des terres peu irriguées… Nous avons fait un discours qui allie les rêves de la Révolution et le réalisme de l'Etat. Il faut dire qu'un an ne suffira pas pour mettre en œuvre tout un programme mais il faut tout de même donner les signes du changement. Quelles sont les lacunes de cette campagne à combler dans l'avenir ? (Sourire) Nos détracteurs sauteront dessus pour nous dénigrer. Mais bon, je crois que nous sommes en train d'apprendre. La démocratie est un exercice quotidien qui nous enseigne les règles à suivre pour bien argumenter et convaincre. Notre base est en train d'évoluer également. Je crois qu'il faut compter plutôt sur le dynamique et non pas sur le statique. Oui, mais la base d'Ennahdha tend à se radicaliser et à imposer ses points de vues. Qu'en pensez-vous ? Il faut considérer pour commencer qu'il y a des gens qui s'improvisent Nahdhaouis pour ternir l'image de notre parti. Depuis dix mois on travaille avec la base d'Ennahdha et je crois qu'elle est vraiment réceptive et disciplinée. Et puis s'il y a eu des écarts dans la conscience politique entre les uns et les autres, c'est à nous d'y remédier car nous voulons faire de l'Islam modéré une culture nationale. Vous n'avez pas, tout de même, prononcé un seul mot à l'encontre de ceux qui veulent faire du Wahabisme ou du Salafisme des doctrines religieuses en Tunisie. Dans l'histoire musulmane il y a toujours eu des courants modérés et d'autres plutôt radicaux. Quand le courant modéré tenait les rênes de l'Oumma, les Musulmans ont opté pour l'ouverture, ont jeté les bases d'une grande civilisation qui échange ses spécificités avec les autres peuples du monde sans pour autant nier ses traditions. C'est connu les crises font triompher les courants radicaux. Le déclin de la civilisation islamique a créé une sorte de renfermement sur soi. La seconde moitié du 20ème siècle au début des années 90 l'impérialisme de l'Ex-URSS et puis après l'hégémonie des Américains qui se disaient les maîtres du monde n'ont crée que des contestations de tous genres. .. Les conflits dont l'origine est de se protéger contre un inconnu peuvent être résolus avec le dialogue social, avec l'éducation, la sensibilisation. Ces forces de rétention resteront mais elles seront marginalisées. Le tout sécuritaire de Ben Ali ne sera en aucun cas un choix pour nous. Que pensez-vous de la prise de position de Souad Abderrahim qui a considéré les mères célibataires comme étant une infamie pour la Tunisie ? Je crois que la question a pris une ampleur qu'elle ne mérite pas. Les propos de Souad Abderrahim ont été instrumentalisés par nos détracteurs qui veulent par tous les moyens nous discréditer. Souad Abderrahim a le droit d'exprimer ses prises de positions personnelles qui ne sont pas tout le temps celles d'Ennahdha, car elle est indépendante. Elle représente Ennahdha à la Constituante mais elle fait partie des indépendants du parti. Au sein d'Ennahdha nous faisons fi des jugements de valeur, nous préférons prendre en charge un enfant et lui donner une identité que de l'abandonner aux affres de la rue. Autrement il sera voué à la délinquance et ce sera une charge sociale supplémentaire. Nous préférons résoudre le problème à la source sans juger les gens encore moins les contraindre. Le Cheikh Rached, paraît-il, croit que le français pollue la langue arabe. Est-ce vous avez une stratégie d'arabisation de la société ? Le Cheikh Rached a des réserves quant à l'utilisation de la langue française en tant que langue nationale. Nous sommes fiers de notre langue arabe que nous devons reconsidérer dans notre culture et en même temps nous encourageons à l'apprentissage des langues étrangères. Vous avez tout faux. Nous lisons la littérature française et aimons la langue de Molière. Je vais vous faire une confidence : quand j'étais en prison on ne nous permettait pas de lire des livres d'histoire alors je me suis mis à appréhender l'histoire de l'humanité à travers des romans. Je me suis familiarisé avec les écrits de Balzac, Molière, Hugo, etc. Il est un livre qui m'a marqué pendant ces temps, et c'est bien « l'espoir » d'André Malraux.