Une bonne partie des députés, de tous bords, adhère à la création de chambres spécialisées dans les affaires des martyrs et des blessés de la révolution Suite aux jugements prononcés par le Tribunal militaire dans les affaires des martyrs et des blessés de la révolution, plusieurs députés, figures politiques et structures de la société civile ont appelé à dessaisir le Tribunal militaire de ces affaires et à la création de chambres judiciaires. Tandis qu'une quinzaine de députés ont gelé leur adhésion à l'ANC dans l'attente que ces procès soient révisés. Hier, le président de l'ANC, Mustapha Ben Jaâfar, a déclaré que «la commission de la législation générale à l'ANC examinera incessamment un projet de loi pour la mise en place de ces chambres spécialisées et l'audition de toutes les parties concernées». Mais, à l'ANC, les avis divergent sur l'opportunité de la création de ces chambres spécialisées. Certains estimant que «l'adoption de cette loi est anticonstitutionnelle et va à l'encontre de l'esprit de l'article 110 de la Constitution». Karim Krifa, député d'Al Moubadara, est catégorique : «L'article 110 interdit la création de telles chambres spécialisées qui sont une sorte d'instance ad hoc. Dans l'article 110, la seule exception est le Tribunal militaire. Donc, je suis tout à fait contre cette loi car cela ouvrira la porte à une situation dangereuse, et il suffit qu'un jugement ne plaise pas ou ne satisfasse pas le pouvoir pour que des procès soient révisés et des personnes rejugées. Il existe des institutions qu'il faut respecter. On ne peut juger des personnes deux fois et c'est là, en général, la règle à travers le monde. Certes, on peut concevoir que les autres affaires en cours des martyrs et des blessés de la révolution soient transférées à la justice judiciaire ou aux tribunaux civils en adoptant une loi, mais on ne peut rejuger celles qui ont été jugées et sanctionner, ainsi, des personnes à deux reprises... A moins que ce soit pour des raisons électoralistes. Je vous rappelle qu'il y a quelques mois, le président de notre parti, Kamel Morjane, a proposé au président Moncef Marzouki que l'Etat prenne en charge toutes les familles des martyrs ainsi que les blessés de la révolution en tant que pupilles de la nation, comme cela a été fait en France. En vain. Donc, à mes yeux, le traitement de cette affaire relève aussi du social. Pendant trois ans, ce dossier était sur la table de l'ex-ministre des Affaires sociales de la Troïka, Khalil Zaouia, mais il n'a rien fait. C'est pourquoi il a été «dégagé» par les familles des martyrs quand il s'est rendu samedi dernier devant le Tribunal militaire». «Ces chambres spécialisées s'imposent pour connaître la vérité» Toutefois, une bonne partie des députés, de tous bords, adhère à la création des chambres spécialisées dans les affaires des martyrs et des blessés de la révolution. Cela à l'instar du parti Ennahdha, du CPR et du Courant démocratique. D'autres partis sont pour ce projet de loi mais à des conditions. Mahmoud Baroudi, député de l'Alliance démocratique, s'explique : «Je suis pour ce projet de loi, et ce, pour plusieurs raisons. D'abord, il est impératif de connaître la vérité sur les événements de la révolution. Ensuite, aucun doute ne doit être permis dans le jugement de ces affaires, donc on ne peut être à la fois juge et partie. Les militaires impliqués dans les événements étant jugés par leurs pairs. Enfin, il existe une instance provisoire de l'ordre judiciaire qui garantit l'indépendance de la justice. Donc, il est temps aujourd'hui que le reste des affaires des martyrs et des blessés de la révolution soit jugé par un tribunal civil et qu'un pôle spécial soit créé afin d'examiner les affaires au moins pour que l'on sache la vérité. A mon avis, même les affaires jugées doivent être rejugées et publiquement, comme c'était le cas au début des procès et non pas en secret. Plus, il se peut que certaines personnes accusées qui ont écopé de trois ans de prison soient innocentes et en connaissant toute la vérité, elles peuvent être innocentées et obtenir alors des compensations de l'Etat. Au final, je suis pour l'adoption de cette loi, à condition que les jugements soient justes et transparents et que les standards internationaux de l'indépendance de la justice soient respectés». De son côté, le député Mohamed Gahbiche, membre de la commission de législation générale, s'en tient à la loi: «Il faudrait amender la loi relative au tribunal militaire selon l'article 110 de la Constitution, afin que les affaires des martyrs et des blessés de la révolution soient transférés de plein droit à la justice judiciaire. Il s'agit, donc, d'une chambre spécialisée et non pas d'un tribunal. De toute façon, le ministère public militaire s'est pourvu en cassation dans les affaires qui ont été jugées, samedi dernier, cela parce qu'il a considéré que les arrêts ne sont pas conformes à la loi et que la cour n'a pas appliqué la loi. Son rôle étant de savoir s'il y a eu une bonne interprétation et application de la loi. Ainsi, si d'ici là le projet de loi sur la création des chambres spécialisées est adopté, la cour de cassation du Tribunal militaire sera en conformité avec la loi et les affaires des martyrs et des blessés de la révolution seront renvoyées vers le tribunal civil. Si on veut une application stricte de la Constitution, c'est là le processus à suivre. Sinon on risque d'être en violation de la Constitution».