La Tunisie n'est pas le premier pays à avoir tenté l'expérience; l'Afrique du Sud, après avoir élaboré sa Constitution, l'a traduite dans les différents dialectes que compte le pays L'Association tunisienne de droit constitutionnel a traduit la Constitution adoptée en janvier 2014 en arabe dialectal. Une démarche qui rencontre un franc succès médiatique, avant même la diffusion de la version finale en cours d'impression. Quatre mille exemplaires sont prévus pour une diffusion non commercialisée. Quatre constitutionnalistes se sont penchés sur le projet qui a pris moins de trois mois de travail. Dans cette version dialectalisée, les dispositions de la Loi fondamentale sont reproduites telles quelles, enrichies à chaque fois d'une explication précédée par «yaâni», c'est-à-dire. Le secrétaire général de l'association initiatrice de la déclinaison en darija est le constitutionnaliste Chawki Gaddès, qui explique à La Presse la démarche et ses motivations : «Notre grand problème part d'un constat clair. La Constitution de 1959 a été victime de l'ignorance des Tunisiens de son contenu. Résultat, le peuple ne se l'est pas appropriée. Dans les soulèvements populaires, les premières revendications étaient de l'abroger. Nous avons réfléchi à une solution pour éviter ce dérapage, d'où l'idée», a-t-il encore précisé. A cet égard, la Tunisie n'est pas le premier pays à avoir tenté l'expérience; l'Afrique du Sud, après avoir élaboré sa Constitution, l'a traduite dans les différents dialectes que compte le pays. A notre question, si le groupe de juristes avait fait appel à des linguistes, la réponse est non. Toutefois, le travail une fois fini a été révisé par un cinquième juriste et par un communicateur. Toujours, selon Chawki Gaddès, cette version n'a aucune valeur juridique. Le dialecte tunisien, bien qu'il soit le principal outil de communication beaucoup plus que l'arabe classique et le français, y compris dans les médias, suscite des passions controversées. A ce titre, l'arabe dialectal peut-il être un instrument d'échanges, même savants ? «Nous n'avons pas cette prétention, et ce n'est pas l'idée que nous défendons», réplique Chawki Gaddès. Notre démarche procède d'une simplification de la Loi fondamentale en vue d'une assimilation par le plus grand nombre de Tunisiens», a-t-il conclu. Le «Tounsi» N'empêche, pour être compris et intégré par les Tunisiens, justement, le texte fondamental élaboré en arabe classique a dû passer par la case simplificatrice du «Tounsi». A l'évidence : la darija, qui selon ses détracteurs ne peut se hisser en une langue à part entière, s'est, de fait, érigée en langue véhiculaire et d'appropriation de la Constitution. Rien de moins. Elle est déjà utilisée comme langue d'échanges, mais aussi de production littéraire et artistique. Partout dans le monde, le dialecte évolue davantage au cinéma, au théâtre, dans les fictions et à travers la musique. Pour la Tunisie aussi. Par l'effet d'accumulation, un riche patrimoine s'est constitué en dialecte local. Outre cet héritage qui procède de l'identité tunisienne, l'un des grands maîtres qui manie admirablement le «tounsi» reste incontestablement Abdelaziz El Araoui. Ce conteur hors pair qui a transporté des générations successives de Tunisiens, à travers les ondulations de la darija, faisait appel dans sa narration à une quantité infinie d'expressions, de proverbes et de synonymes, pour nous faire découvrir et aimer un dialecte apparu alors extrêmement riche, expressif et poétique à l'occasion. Les titres de noblesse ont été également octroyés par Béchir Khraïef, mais non le seul, qui est toutefois considéré avec ses romans populaires comme la locomotive du dialecte local. Les travaux de Hédi Balegh, entre autres «Le petit prince», laissent voir la richesse de cette bibliothèque nationale, authentique. Cette fois-ci, la darija perce le domaine pointilleux et technique des textes juridiques pour s'imposer et faire valoir ses multiples atouts.