Lors de la 9e édition de Doc à Tunis, consacrée à l'environnement, le public a eu l'occasion de voir un documentaire intitulé «Polluting Paradise» réalisé en 2006 par le cinéaste turco-allemand Fatih Akin. A cette époque, il tournait la scène finale de son film «De l'autre côté» à Çamburnu, village natal de ses grands-parents au nord-est de la Turquie, où les habitants vivent depuis des générations de la pêche et de la culture du thé, au plus près de la nature. Il entend alors parler d'une catastrophe écologique qui menace le village: un projet de décharge construit dans un mépris total de l'environnement et contre lequel s'élèvent le maire et les habitants. Il décide alors de lutter par ses propres moyens. Pendant plus de cinq ans, il filme le combat du petit village contre les puissantes institutions et témoigne des catastrophes inéluctables qui frappent le paradis perdu : l'air est infecté, la nappe phréatique contaminée, des nuées d'oiseaux et des chiens errants assiègent le village. Pourtant, chaque jour, des tonnes d'ordures sont encore apportées à la décharge... «Polluting Paradise» est à la fois un portrait remarquable de la population turque des campagnes et un émouvant plaidoyer pour le courage civique. Cette histoire, qui se passe en Turquie, ressemble comme deux gouttes d'eau à celle de la localité de Fej Rouisset, délégation de Chebika, à Kairouan. Voici donc une bonne matière pour les cinéastes tunisiens en manque d'idées. L'histoire de la cimenterie et des villageois de cette région mériterait bien un documentaire, à l'instar de « Polluting Paradise ». L'autre jour donc, au siège du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES) à Tunis, Ali Briki, Ali Ben Abderrahmane et Borni Ben Tiba, accompagnés de Radhouan Fatnassi, président de la section FTDES de Kairouan, sont venus de leur village lointain, sur conseil de leur avocat, pour faire entendre leur voix et dénoncer les pratiques douteuses d'un industriel dont les dépassements et les préjudices causés par l'activité de son usine de cimenterie n'ont fait qu'accentuer leurs ennuis. Photos et plan topographique à l'appui, ils ont, tour à tour, fait état du désastre écologique qui frappe leur région et cause beaucoup de dégâts à leur terre agricole, l'eau, les routes, les logements et même leur santé, et ce, face, à des pouvoirs publics locaux laxistes ou impuissants, pris entre le marteau et l'enclume. Plus de 400 familles vivant dans la précarité se plaignent de cet état de fait qui ne fait que durer depuis des années. Implantée depuis 2007/2008 dans une zone agricole, dont les terrains ont été bradés à bas prix, la cimenterie, dirigée par des personnes peu soucieuses autant de l'environnement que des habitants, est contestée par ces derniers. Les dirigeants de la cimenterie seraient-ils une bande d'abrutis au comportement inhumain ? Alerter les médias est resté le seul recours pour ces laissés- pour-compte afin de sensibiliser l'opinion publique sur leur sort, puisqu'aucun arrangement à l'amiable avec l'entreprise en question n'a été trouvé. Sans travail, ni autres commodités, les trois mille habitants du village vivent dans le calvaire et leur situation semble empirer de jour en jour. Leur requête, formulée dans une pétition signée par une cinquantaine de plaignants, consiste à ouvrir une enquête judiciaire sur les nuisances causées par la cimenterie dans la région, à faire pression sur l'usine pour qu'elle renonce à l'axe routier, domaine de l'Etat, qu'elle occupe, la priorité à l'emploi pour les jeunes chômeurs de la région, le dédommagement des logements touchés par l'activité industrielle sauvage et l'approvisionnement de la localité en eau potable. En attendant le règlement du litige, la cimenterie continue à émettre ses gaz polluants, dans l'indifférence totale des pouvoirs publics, des militants écologistes et de la société civile.